Esprits crépusculaires
Nous l'attendions, enthousiastes, avec même un léger pincement dans l'estomac au moment de la découvrir. L'exposition rétrospective de Marnie Weber au Magasin s'avère hautement digne de nos petits tracas : ne pas honorer cette affirmation artistique pleine et authentique d'une visite d'ici avril relèverait d'une couardise dont on ne préfère pas vous penser capables. Laetitia Giry

En plus des vidéos, l'exposition nous propose de découvrir les sculptures de l'artiste. Les différents costumes dont sont affublés des mannequins sont l'émanation directe de l'univers créé sur pellicule. Des clowns effrayants et animaux imberbes colorés de manière inquiétante côtoient des femmes enfermées dans des corps d'hippopotame ou de tigre déguisés, une Spirit Girl dans une charrette entourée d'animaux est la voisine d'une barque pleine de personnages aux masques de plastique tout droit sortis du rayon Halloween d'un magasin de farces et attrapes. Le bateau trône dans la plus grande salle devant une fresque de tourments, le bleu pétrole combattant un orange drôlement sanguinolent au-dessus d'une mer grossièrement furieuse. Les sculptures sont accompagnées de collages happant l'œil avec une efficacité assez rare. De ces pièces uniques, réalisées de manière tout à fait artisanale (avec photos et ciseaux), émane une beauté qui subjugue autant qu'elle étonne, l'imagerie du cirque n'allant pas sans une cruauté édifiante : chapiteau en flammes, clowns maléfiques, etc.Poupées de cire, poupées de son
La dernière vidéo, « The Sea of Silence », voit les Spirit Girls accompagnées de poupées ventriloques à leur image leur permettant de s'exprimer. De blagues de comptoirs en assertions philosophiques telles que « chaque mot est mensonge » ou « il n'y a pas de vérité, seulement des perceptions », elles se produisent devant une assemblée d'animaux grossiers qui, à défaut de les écouter, violentent leurs corps artificiels. Une scène filmée sans complaisance, qui crée un vertige de dégoût avant la dernière séquence, grave et mélancolique. Au son des violons, les esprits muets abandonnent leurs poupées sur la plage pour entrer elles-mêmes dans l'eau. Devant l'amer constat de la vacuité de leur entreprise et l'agressivité de la surdité déplacée de l'audience, l'onirisme de l'œuvre de Marnie déploie toute sa force, et rend le face à face avec la poupée ventriloque accrochée au mur devant la salle quelque peu gênant. La bouche béante et le regard halluciné, elle apparait comme l'image douloureuse d'un échec personnel, concluant un parcours à l'intensité dramatique incontestable.« Marnie Weber. Forever Free, The Cinema Show : A Film
Retrospective and Installations »
Jusqu'au 25 avril 2010, au Magasin CNAC