Parenthèses désenchantées
1976 : une partie de la jeunesse anglo-saxonne décide de renverser l'ordre établi à coups de guitares mal accordées et de slogans je-m'en-foutistes. 2014 : l'ordre est toujours établi et la pensée punk n'est plus que mauvais esprit. Quelques irréductibles poursuivent toutefois le combat. Les Nantais de Justin(e) pourraient bien le gagner.Benjamin Mialot

Justine ou les Malheurs de la vertu, le premier roman du Marquis de Sade publié de son vivant (en 1791), narre les malheurs d'une adolescente aussi pieuse que peu fortunée, dont les pèlerinages à travers la France se soldent par des tortures et viols aux mains de moines défroqués et de nobliaux psychotiques. Sa halte à Lyon est l'une des plus pénibles : elle y retrouve celui qui, le premier, lui fit subir les pires outrages, avant d'être condamnée à mort pour un meurtre qu'elle n'a pas commis.
Pour autant, Justine n'en a gardé aucune rancune. Car la revoilà de passage en cette bonne vieille capitale des Gaules (une minuscule serait du coup plus appropriée), qui plus est à la Marquise, réincarnée en un quatuor punk dont la moindre qualité est son goût des belles lettres. En tout cas celui du dénommé Alexandre Vaillant, «ancien milieu défensif du Football Club de Treillières, psychologue clinicien, chanteur et parolier» qui s'abreuve d'écrits révolutionnaires, commentaires philosophiques et autres traités de psychiatries pour mieux les recracher, avec un sens de la formule à faire blêmir les meilleurs nègres du pouvoir, en hymnes électriques où le nihilisme le dispute à la déconne - «quelle joie de s'autodétruire», clame-t-il sur la dernière piste de Treillière Uber Alles, réponse crotteuse au fameux disque des Dead Kennedys.
Droit au but
Le long des quatre albums du groupe - et de l'essai Onze joueurs, recueil d'influences aux airs de dream team des sciences humaines - on peut ainsi faire connaissance avec le penseur politique Jacques Rancière, le situationniste belge Raoul Vaneigem ou le pédagogue catalan François Tosquelles. Mais on y croise aussi une personnalité plus terre-à-terre : Jean-Claude "Coco" Suaudeau, légendaire entraîneur des Canaris et destinataire d'un hommage aussi glorieux que put l'être le Santa Maradona de la Mano Negra.
La comparaison avec l'équipe des frères Chao s'arrête-là. Car s'il y a quelque chose de très français dans cette façon qu'a Justin(e) de ménager la trivialité et la colère - on pense aussi aux cocos farceurs de Ludwig Von 88, et dans une moindre mesure à la poésie à hauteur de bitume de Noir Désir - c'est des États-Unis, (a)mère patrie de NOFX et Anti-Flag, qu'elle a ramené ce chant si frondeur qu'il semble provenir d'un poing, ces riffs qui se boivent comme de la petite bière et ces rythmes montés sur pogo sticks. A l'instar de ses voisins de palier de Zabriskie Point, qui citaient Deleuze tout en se revendiquant de Green Day, ou de Guérilla Poubelle, son grand frère de son.
Avec un tel pedigree, Justine pourrait piger pour So Foot, le plus punk des magazines footballistiques. C'est pourtant sur le terrain qu'elle a choisi de franciser la maxime commune des prolos du Liverpool FC et des antifas du FC Sankt Pauli (Tu ne marcheras plus jamais seul) et de convoquer Tony Vairelles et Chris Waddle pour déplorer l'hermétisme de classe (Affreux, sales et méchants). A cette grande dame, les supporters reconnaissants.
Justin(e) [+ Lunch + RAB + Mon côté Cocker]
A la Marquise, samedi 11 octobre