Requiem pour des doux

Mardi 12 décembre 2017

Théâtre / Dans une version digeste habilement menée, Alex Crestey garde la profondeur du mythe d'Orphée et Eurydice tout en lui offrant quelques respirations bienvenues car l'effroi n'est jamais loin.

Photo : © Jean-Pierre Dupraz

Il fallait les entendre ces mômes de dix ans rire pour masquer leur peur pour les plus chanceux ou laisser échapper un cri pour d'autres. C'est que le théâtre, avec trois fois rien, peut provoquer des émotions d'une force presque violente tant la proximité avec les comédiens ne protège de rien. Pas de quatrième mur pour ces écoliers-là qui sont le réceptacle d'un spectacle finement construit. Alex Crestey, issu comme la plupart de ses acolytes du décidément précieux Conservatoire de Lyon a amputé le livret originel de la fin et la renaissance d'Eurydice mais a tout de même gardé la trame, notamment musicale, de cet opéra signé Gluck.

En version piano solo, la partition n'en demeure pas moins tragique et inquiĂ©tante entrecoupĂ©e d'œuvres bien plus rĂ©centes comme des airs de l'indĂ©modable (vraiment ?) Dalida, de la grande Piaf ou le très blues et presque disco avant l'heure What a difference a day makes de Dinah Washington. Ce mĂ©lange des genres Ă©tonne et dĂ©tonne. Mais ne jure jamais tant les deux duos d'acteurs tiennent leurs rĂ´les et que le travail sur le maquillage et les costumes accompagne ces gestes.

Ils ont oublié de vivre

La mort rôde sous la forme d'un masque multi-visages rendu très flippant par la création lumière mais c'est bien la douceur noire des amants maudits qui teinte ce spectacle d'une gravité absolue. Encore très jeunes mais déjà bien connus de nos services pour avoir été récemment dans de très bons projets, Johan Boutin (vu notamment dans le Huis clos d'Olivier Rey) et Savannah Roll (War and breakfast, La Famille royale de Thierry Jolivet, bientôt à l'affiche dans le Margot de Laurent Brethome, aux Célestins en janvier) se font chanteurs à la voix parfois hésitante mais jamais fausse.

C'est la fragilitĂ© de leurs personnages qui Ă©mane avant tout de cet OrphĂ©e et Eurydice qui prouve que mĂŞme sans les moyens dĂ©mesurĂ©s d'un opĂ©ra (quoique Laurent Pelly ait sans doute signĂ© son chef d'œuvre opĂ©ratique avec OrphĂ©e aux Enfers), il est possible d'en restituer la substantifique moelle.

Orphée et Eurydice
Au Théâtre des Clochards Célestes jusqu'au 22 décembre

Orphée et Eurydice

D'après Christoph Willibald Gluck, par les Cies La Dôze et Les Vierges Folles