Kiblind : « on n'a jamais cessé de graviter autour de la création »

Publié Mercredi 3 septembre 2025

Illustration / Kiblind - magazine gratuit dédié à l'illustration depuis plus de 20 ans, agence spécialisée dans la communication visuelle et atelier d'impression d'affiches - organisera la 3ᵉ édition de son festival dédié à l'illustration les 27 et 28 septembre prochains. Retour sur la genèse d'une success story lyonnaise avec son cofondateur et directeur associé, Jean Tourette.

Photo : Jean Tourette ©CMJN

Le Petit Bulletin : Aujourd'hui, Kiblind est une référence en graphisme et en illustration en France et à l'international. Pourtant, à la base, aucun de vous n'avait suivi d'études en lien avec ces domaines.

Jean Tourette : On était une dizaine de copains, avec un noyau dur de trois personnes qui étaient à Sciences Po Lyon. Ce sont les mêmes qu'aujourd'hui, les trois actuels codirecteurs, Jérémie Martinez, Gabriel Viry qui vit à Montréal, et moi-même. Ce qui nous a réuni, c'était plutôt le goût pour l'édition, la presse, le journalisme... On voulait monter un magazine gratuit qui valorisait l'émergence, la création, les artistes méconnus.

Au début, il y avait certes des illustrations mais aussi des pages participatives, des nouvelles, de la poésie et des articles sur des associations culturelles. On pensait beaucoup notre projet éditorial. On voulait diffuser 10 000 exemplaires gratuits dès le début. On l'a fait ! Ça n'a pas été facile, on a mis deux ans à trouver des financements, des pubs à mettre dans nos pages, et encore, on a dû mettre un peu de nos poches. Au lendemain de la soirée de lancement du premier numéro, en 2004, on s'est dit : « on ne peut pas s'arrêter : ça nous plaît trop ».

On avait compris qu'obtenir de la publicité dès le début, ça allait être compliqué. Seule la durée pourrait nous crédibiliser. Alors on est entrés en dialogue avec des annonceurs différemment, en proposant un pass culturel. On leur donnait un encart dans le magazine en échange de places de spectacle, de concert et puis on vendait ce pass culturel très avantageux à nos lectrices et lecteurs. Pour 50 € ils et elles avaient accès à des événements culturels dans trente lieux partenaires, parfois plus. On a vendu 200 pass, puis 500 l'année d'après, ce qui nous permettait d'avoir un peu de trésorerie en début d'année pour imprimer les magazines sans être dans le rouge.

Le 1er numéro de Kiblind Magazine, et celui des 20 ans.

C'était une organisation de fou : on envoyait les pass par voie postale, les personnes réservaient les spectacles par téléphone les mercredis en fin de journée... On a arrêté le pass au moment du covid, après 17 ans ; cependant c'est vraiment cela qui nous a permis de nous structurer, de nous professionnaliser.

Pendant la première dizaine d'années, on cherchait tout le temps des idées pour pérenniser le magazine, on n'a jamais lâché la gratuité. On a vendu des petits encarts pas chers dans le magazine, sous forme de cartes de visite détachables par exemple. On a commencé, sans trop s'en rendre compte, à effectuer le travail d'une agence. Parfois des annonceurs de publicité dans le magazine nous demandaient un logo, un site, une carte de visite. On ne disait jamais non, en essayant de nous référencer le plus possible, de développer une identité visuelle unique. Pour être honnête, on avait appris la mise en page et le graphisme sur le tas, en regardant des amis designers graphiques monter les premiers numéros de Kiblind Magazine.

C'est donc comme ça, de fil en aiguille, que vous avez décidé de monter une agence ?

Oui. En 2008, on a liquidé l'association et monté une SARL dont nous étions les trois salariés. Cela avec la volonté de nous spécialiser dans l'illustration et le graphisme, côté agence comme côté magazine, en séparant bien les deux. Nous sommes des éditeurs, on ne voulait pas que le business de la communication puisse parasiter un modèle associatif et culturel. Cela a rapidement permis de soutenir le magazine économiquement.

Pourquoi ce "recentrement" uniquement sur l'illustration ?

Cela nous semblait évident, c'est ça qui nous a permis de graviter autour des artistes, de la question de la traduction visuelle d'une idée, qui nous passionne depuis toujours. On a établi deux modèles de prestation, l'un en interne, l'autre, en externe, lorsqu'on fait appel à des illustratrices et illustrateurs qu'on connaît.

Nos premiers clients étaient des annonceurs du magazine, notamment les structures partenaires du pass. De plus, c'est important de dire que dès le début, nous n'étions pas qu'à Lyon, Gabriel ayant achevé ses études à Paris, le développement de Kiblind a toujours été simultané entre Paris et Lyon.

Certaines rencontres nous ont permis de nous développer plus rapidement, de façon presque inattendue. Raphaëlle Cavalli, directrice artistique de Cotélac est venue frapper à notre porte juste parce qu'elle appréciait le magazine. On a créé des ponts commerciaux, on a élaboré une collection capsule. La marque a même fini par nous confier l'entièreté de son projet de communication. On a tout pensé, de la stratégie à l'identité visuelle. On a pu doubler les effectifs, acheter nos locaux. En 2012, on est montés en gamme sur le magazine et on est passés en trimestriel. Depuis deux ans on est aussi à Montréal, c'est pour cela qu'on a commencé à y organiser des résidences d'artistes au Québec, comme celle de Clément Thoby.

À Lyon, vous vendez des affiches dans votre atelier, dans plusieurs magasins partenaires. 

En 2017, on a récupéré le local d'un architecte juste à côté de nos bureaux. On ne savait pas trop quoi en faire, mais l'organe a créé la fonction. On savait que certaines personnes déchiraient les pages du magazine pour coller certaines illustrations sur leurs murs. On s'est donc naturellement lancé dans la commercialisation d'affiches, des illustrations du magazine, mais avec une technique spéciale pour qu'il y ait une valeur ajoutée. On a choisi une technique de reproduction par pochoir datant des années 80, la rizographie, pour qu'émerge quelque chose d'accidentel, que chaque affiche soit unique.

Au sortir du covid, vous avez commencé à élaborer un festival. Quel cheminement vous a amené à cela ?

Pour la première fois depuis des années, on a levé le nez du guidon. On s'est demandé ce qu'on pourrait agiter de plus autour de nos orientations majeures, nos valeurs cardinales : les artistes, montrer leur travail, peut-être même montrer la main qui tient le crayon, le pinceau... En événementialisant autour de la sortie de nos numéros on avait compris l'alchimie qui pouvait opérer entre les artistes et le public si la rencontre est un minimum conceptualisée. Par exemple, pour le numéro 50, on avait décidé de faire un magazine avec une couverture vierge et d'inviter 50 artistes à venir dessiner en live sur les couvertures à la Gaîté lyrique. C'était la première fois qu'on montrait de la création en mouvement et c'était magique.

C'est en pensant toutes ces formes d'interactions avec le public mais aussi les déclinaisons de ce que peut être l'illustration qu'on a envisagé le festival : on a donc vite compris qu'il nous fallait un grand espace, découpé en plusieurs "sous-espaces" pour montrer toutes les manières d'illustrer, avec des conférences, des masterclasses, un marché, des courts métrages, du tatouage, de l'illustration en live, de la réalité virtuelle... On a beaucoup pioché dans les événements qu'on avait déjà organisés. Par exemple, on avait fait des premières "bastons" d'artistes en 2016 pour le numéro baston.

La programmation de cette édition va être plus dense que les années précédentes, on invite 30 artistes de Lyon, de la région, mais aussi d'Europe et du monde avec plus de 10 pays étrangers représentés, de la Finlande à Taïwan. Plusieurs expositions seront à découvrir, une première qui interroge les liens entre l'illustration et le cinéma, des affiches au storyboard, il y en aura une autre autour des mascottes, qu'on déteste ou qu'on adore, chacun des 30 artistes invités sera exposé dans les ateliers des Beaux-Arts...

Les deux précédentes années étaient gratuites, sur quel modèle partez-vous pour cette édition ?

C'est devenu très compliqué de poursuivre en maintenant la gratuité. Dans un contexte de crise, les partenaires se raréfient. C'est dur philosophiquement d'abandonner la gratuité, surtout que pour nous, le festival s'inscrit dans la continuité du magazine, qui lui, est diffusé à 30 000 exemplaires gratuits, c'est son ADN. Cependant les coûts sont énormes, et l'agence ne peut pas tous les absorber. On va demander une participation libre à partir de 5 €. Il était très difficile pour nous d'envisager de poursuivre gratuitement mais en nivelant par le bas, de perdre en ambition et en qualité.

If Festival
Du 27 au 28 septembre 2025 aux Subsistances (Lyon 1er) ; à partir de 5€

IF - Illustration Festival

Le festival d'illustration de Kiblind est de retour pour une troisième édition, avec au programme des expositions, discussions, projections de courts-métrages animés et en VR, ateliers, DJ sets animés et battles de dessin, ainsi qu’un grand marché d’objets illustrés d'artistes venus de France, d'Europe, d'Amérique et d'Asie.