Des librairies spécialisées en romance s'installent à Lyon
Phénomène / En deux mois, deux librairies spécialisées dans la romance ont ouvert à Lyon, une troisième devrait être inaugurée avant la fin du moins de septembre. Pionnières, leurs installations confirment pourtant une tendance durable : le marché de la romance va bon train.
Photo : Cécile et Annabelle, de la librairie Momie romances ©LS/LePetitBulletin
C'est rue Franklin (Lyon 2e) que Momie romances, librairie lyonnaise spécialisée en romance, a ouvert le 25 août dernier. Un lancement qui suit celui d'Aux grimoires romantiques, qui a ouvert le 19 juillet rue du Plat (Lyon 2e), et un peu avant Black Spell qui devrait inaugurer sa boutique fin septembre rue Dubois également dans le deuxième arrondissement. Le réseau de librairies indépendantes initialement spécialisées en mangas et bandes dessinées s'est lancé dans une nouvelle aventure, incarnée par Cécile et Annabelle, deux jeunes libraires passionnées du genre, qui sont passées des mangas aux romances. « On a chacune nos préférences, ce qui nous permet de balayer le spectre extrêmement large du genre. De la romantasy [contraction de romance et de fantasy ndlr] à la romance historique en passant par la dark romance... », témoigne Annabelle, connue sur les réseaux sociaux sous le pseudonyme de sokkha.reads.
Les deux collègues ont donc investi un grand espace, à l'ameublement aéré, à la décoration constituée de chandeliers, de faux lierre, de fauteuils et de miroirs vintage, témoignant de codes esthétiques identifiés, qu'on pourrait dire "cocooning". Des références pour les amatrices du "booktok", qui est le nom qu'on donne aux lectrices qui échangent beaucoup sur les réseaux sociaux, notamment TikTok. Une communauté particulièrement active qui a participé à faire rayonner le renouveau de la romance.
Un genre en manque de légitimité
Il y a dix ans déjà , certaines autrices vendaient leurs ouvrages de romance comme des petits pains. En 2016, Viens, on s'aime de Morgane Moncomble (aux éditions Hugo) s'écoulait à plus de 500 000 exemplaires. Depuis, le marché de la romance n'a cessé de se développer. En 2024, celui-ci représentait 7, 6 millions d'exemplaires vendus en France, dopant au passage les chiffres du secteur de l'édition pourtant en berne. Cependant, les "grandes" maisons d'édition ne se sont pas tout de suite emparé du genre. Ce n'est que depuis peu qu'Hachette, Editis, Albin Michel, Gallimard, Le Seuil... ont toutes lancé leurs collections de romances.
« C'était pareil pour les librairies », témoigne Cécile, titulaire d'un DUT métier du livre et d'une licence d'édition. Elle avait entamé sa carrière dans une grande surface spécialisée dans la vente de produits culturels il y a dix ans. Elle y avait constaté l'importante affluence de lectrices demandeuses de livres de romance, regrettant qu'un rayon entier ne leur soit pas dédié, et que peu ou pas de libraires ne puissent les conseiller. « En librairies indépendantes il n'y avait même pas de romance, ou très peu. Le genre était vraiment boudé, considéré comme de la sous-littérature, comme on a pu l'entendre il y a bien plus longtemps au sujet des thrillers. » Rieuse, elle poursuit : « On ne se pose que rarement la question de la légitimité culturelle d'une œuvre romantique si c'est un homme qui l'a écrit, en revanche quand il s'agit de romances écrites par des femmes et pour des femmes... ça met un peu plus de temps. »
Les différents genres de romances
La romance est un genre très codifié. On y retrouve de nombreuses thématiques appelées "tropes" - amour interdit, ennemies-to-lover (d'ennemis à amoureux), proximité forcée... - distribuées dans différentes catégories parmi lesquelles : la romantasy (mêlant romance et fantasy), la romance historique, la new romance, la chick lit, la dark romance, la romance LGBTQ+, la romance young adult... À Momie romances, les livres sont rangés en fonction de ces catégories.
Des profils de lectrices très divers
Pour Anaelle Alvarez Novoa, responsable commerciale chez Babelio, un réseau social dédié à la lecture : « Pendant longtemps, dans l'esprit des acteurs du monde du livre, la romance se résumait à la "chick lit" [littéralement "littérature de poulettes" ndlr], au ton plutôt léger et humoristique. » Un récit codifié qui s'inscrivait dans la continuité du sillon tracé par la série télé Sex and the city ou la saga Bridget Jones d'Helen Fielding (aux éditions Albin Michel). « À cela il faut ajouter que le renouveau du genre est arrivé par des canaux qui ne sont pas très reconnus : les réseaux sociaux, les forums de "fanfictions" [histoires inspirées d'œuvres existantes ndlr] tels que Wattpad, Reddit ou encore l'auto-édition », poursuit-elle.
Pour mieux cerner la tendance, Babelio a lancé une étude de lectorat en mars 2024, interrogeant 7 034 lectrices sur leurs goûts, leurs préférences et leurs attentes dans la romance. Plusieurs résultats battent en brèche un certain nombre de clichés. La majeure partie ont entre 25 et 34 ans, et si 95% des lectrices du genre sont des femmes, on apprend surtout qu'elles lisent beaucoup, et pas seulement de la romance. 36% des interrogées déclarent être devenues lectrices grâce à la romance - influencées notamment par les réseaux sociaux -, et seulement 4% ont déclaré ne lire qu'exclusivement ce style d'ouvrages. Plus de la moitié ont indiqué lire de la littérature jeune adulte, de l'imaginaire, du polar, du thriller et de la littérature contemporaine. On y apprend aussi que l'érotisme et le sexe explicite sont appréciés mais que cela peut aussi constituer un frein pour certaines lectrices aficionadas du genre. De plus, elles expriment le besoin d'un renouvellement, vers moins de clichés, plus de représentativité, notamment des personnes racisées, LGBTQ+ ou en situation de handicap. À plusieurs reprises, elles témoignent pour la plupart s'être tournées vers ce style car il explore la complexité des émotions, les traumatismes, le sentiment amoureux, et qu'il développe souvent un personnage principal féminin complexe, évoluant au fil des rencontres et des obstacles.
Explorer les tabous
Donnée qui peut sembler paradoxale avec ce qui a été dit précédemment ; le genre de la dark romance est aussi en expansion. Il s'agit de récits violents, misogynes, explorant des relations sadomasochistes et certains troubles psychologiques tels que le syndrome de Stockholm. Une tendance qui peut interroger, en période post-MeToo. « De ce que j'ai vu, les libraires comme les lectrices sont très soucieuses de ne pas voir ce type de littérature dans les mains de tout le monde : la dark romance, ce n'est pas pour tous les âges. Il y a d'ailleurs des trigger warnings [un avertissement au public ndlr] au dos de la plupart des livres », témoigne Anaelle Alvarez Novoa qui a pu constater que ce type d'ouvrages pouvait représenter un point de rencontre entre le lectorat des thrillers psychologiques et celui des romances, parfois à la recherche de récits cathartiques.
À la librairie Momie romances, l'étagère des dark romances est volontairement placée juste à côté de la caisse, et certains livres sont sous blisters. « Comme ça, si une personne un peu trop jeune s'approche de cette étagère, on peut entamer le dialogue. En revanche, il est arrivé que des parents insistent pour acheter de la dark romance à leurs enfants, demandeurs. "C'est toujours mieux que traîner sur les écrans", nous disent-ils. Ça, c'est inquiétant », détaille Annabelle. Au-delà de cet aspect, les libraires se gardent bien de poser un jugement moral sur les lectrices adultes de ces ouvrages, qu'elles conseillent avec plaisir. Après tout, comme disait Simone Weil dans L'Enracinement (1949) : « Tout ce qui est indispensable à la vie de l'âme doit pouvoir être écrit comme un droit. »