La Halle Tony Garnier, percutée par l'histoire

Publié Mardi 16 septembre 2025

Patrimoine / Anciens abattoirs, usine d'armement et désormais bâtiment phare des spectacles à Lyon, la Halle Tony Garnier a pourtant failli être rayée de la carte en 1975. Récit de l'histoire de ce lieu qui s'apprête à devenir, comme chaque année, la plus grande salle de cinéma du monde à l'occasion du Festival Lumière.

Photo : Halle-Marche aux bestiaux © Archives Municipales de Lyon

5000 petits et grands spectateurs vont encore se masser à guichets fermés pour voir Vol au-dessus d'un nid de coucou, Astérix et Obélix version Chabat, Into the Wild, ou Kung Fu Panda au cours du festival Lumière qui chaque année y lance sa nouvelle édition depuis sa création il y a 17 ans.

L'espace de la Halle Tony Garnier est vaste - 17 000 m² - mais finalement pas tant que cela comparé à qu'a été ce site à sa création. Tony Garnier n'a que 36 ans en 1906 quand Édouard Herriot, tout juste élu maire de Lyon, le charge des Grands Travaux de la ville. Auparavant lauréat du très prestigieux Prix de Rome 1899, il n'a pourtant réalisé que la Laiterie du Parc de la Tête d'Or dans sa ville natale.

Le projet au cœur du quartier marécageux de la Mouche devenu Gerland est pharaonique. Il a pour ambition de rivaliser avec Chicago, en construisant sur 250 000 m² (35 terrains de foot), des entrepôts frigorifiques, des boucheries, des triperies et même des tanneries -. Les peaux, les cornes y étaient récupérées et certaines enseignes comme Babolat en ont fait des cordages pour les raquettes de tennis avec les boyaux ! Mais cet espace est surtout occupé par des abattoirs et un marché aux bestiaux pouvant accueillir 4000 bovins, 8000 moutons et 3500 porcs. La circulation des hommes, des animaux et des produits se fait à sens unique dans les nombreuses travées et converge vers un immense espace attirant tous les marchands du quart sud-est de la France. Ce sont alors simplement les « halles ». Elles ne prennent le nom de leur architecte qu'en 1990, réhabilitant au passage celui qui était jusque-là inconnu du grand public.

Vingt-deux immenses arches recouvrent les murs en béton de gravier et de mâchefer. Elles ne sont soutenues par aucun pilier. Cette prouesse technique est rendue possible par les recherches d'ingénierie des Ateliers Eiffel, à l'origine de la célébrissime tour qui n'a que 17 ans en 1906. Tony Garnier appose aussi sa signature unique avec la présence de redans (des décrochements en escalier) et de pilastres (des piliers enfoncés dans le mur). Ensuite, il s'imposera à Lyon avec ces constructions peu hautes mais étalées de façon géométrique : l'hôpital à Grange-Blanche, la cité d'habitation du quartier des États-Unis puis la Cité du sport à Gerland.

Scènes de bêtes

Inaugurée en mai 1914 par l'Exposition internationale consacrée à la Cité moderne, cette halle est ensuite percutée par l'Histoire. Le 3 août l'Allemagne déclare la guerre à la France et ce lieu devient une usine d'armement et une caserne durant la Première Guerre mondiale. Les militaires sont évacués en 1920. Après 8 années de travaux de remise en état, le marché aux bestiaux est enfin ouvert en 1928.

Rebelote durant le deuxième conflit mondial. Cette fois ce sont les Allemands qui y stockent pneus, huile, fils électriques, pointes, pétrole et y fabriquent des armes.

En 1967, pour des régions d'hygiène - parce que ce quartier de la Mouche n'est plus isolé de la population qui loge de plus en plus à l'est de la Ville - et parce que les bâtiments ne sont plus conformes à la réglementation en vigueur, les abattoirs sont privatisés et déménagent à Corbas où ils sont toujours.

Les halles s'abîment et le maire Louis Pradel, qui a déjà souhaité raser le Vieux-Lyon pour y faire passer une autoroute, décide, sans surprise, de les détruire. Heureusement, à nouveau, le couple Neyret est là. C'est sur un banc du quai de Saône que Régis et Annie regardent pour l'éternité le quartier qu'ils ont contribué à sauver. Ils se sont battus pour que le patrimoine de Tony Garnier ne soit pas balayé par les grues. Michel Guy, secrétaire d'État à la Culture de Giscard, classe alors la halle à l'inventaire des monuments historiques en 1975. 18 des 25 hectares ont déjà été démolis. Mais la halle subsiste.

Il faut cependant attendre la fin du mandat de Francisque Collomb, en 1987, pour que son avenir se dessine avec le lancement de larges travaux sans trop savoir alors quelle sera la fonction. Un musée des transports à l'initiative de Paul Berliet ? Un centre de la communication et de l'image vidéo comme l'imagine Paul Neyret dans les sous-sols ? Ce ne sera pas cela. Car, alors que fleurissent partout des Zéniths, Lyon n'en a toujours pas. Il y a bien un projet avancé en ce sens sur la commune de Chassieu mais il n'aboutit pas.

En 1992, le ministre de la Culture Jack Lang décide finalement de soutenir un projet dédié aux spectacles dans cette Halle. Dès novembre 1989 se produisent Paul McCartney et Mylène Farmer. Puis Phil Collins, les Cure, Tina Turner, James Brown, Higelin, Johnny et plus tard Beyoncé (2007) ou Lady Gaga (2010). La saison dernière, la salle a été occupée 122 soirs sans compter les montages et démontages de scènes toujours plus grosses. En dépit de la nécessité de diminuer le bilan carbone de chacun, les artistes ne font pas dans la décroissance. Genre nouveau à la Halle : l'électro. 12 000 personnes sont attendues le 25 octobre prochain pour la soirée Encore & 23:59.

Bêtes de scène

Accueillant entre 3000 et 17 000 spectateurs, la HTG est aussi dédiée aux salons, shows sur glace, comédies musicales, soirées d'hommage (Goldman, Pink Floyd, Michael Jackson...) voire désormais des one-man/woman-shows et plus rarement au sport (du catch, un chouïa de tennis avec le tournoi WTA, les filles, en 2021).

Après les travaux de 1988, d'autres s'opèrent en 1999/2000 et les gradins fixes deviennent soi-disant mobiles au tournant du siècle. Une 3e phase de travaux est prévue prochainement pour réaménager le bar et l'accueil à horizon automne 2027. Ensuite, des travaux plus vastes devraient rendre les gradins réellement mobiles, capables de former un atrium et pouvant accueillir 7000 personnes assises - aujourd'hui la capacité assise de la salle est de 6500 places en comptant les chaises installées en fosse, à plat. C'est en tout cas le projet déposé par le directeur Thierry Pilat auprès de la municipalité, pour l'instant favorable mais tout est suspendu aux résultats des élections du printemps.

Toujours dans le giron de la Ville de Lyon, sous le mode de la régie autonome (EPIC), la municipalité actuelle, via son ancienne adjointe à la Culture, Nathalie Perrin-Gilbert, s'est battue pour que ce patrimoine ne parte pas aux mains des grands groupes (AEG, Live nation...) qui désormais cadenassent le marché des très grandes salles en expansion comme jamais. Mieux, la Halle trouve sa place malgré la concurrence locale nouvelle de la LDLC Arena (6 000 à 16 000 personnes). Louane, La Fouine, Ascendant vierge sont au programme de la saison.

La Halle Tony Garnier en quelques dates
1909 : Début de la construction
1914 : Inauguration
1914-1920 : Utilisation militaire
1928 : Inauguration du marché aux bestiaux
1975 : Classement à l'inventaire des Monuments historiques
1994 : Inauguration de la salle de concert
2026-27 : 3e phase de travaux