La Petite histoire Le théâtre de la Croix-Rousse

Publié Mardi 18 novembre 2025

Patrimoine / Construit dans les années 1930, le théâtre de la Croix-Rousse - à l'instar de la Bourse du travail - est le fleuron des arts déco à Lyon. Avant d'être le théâtre inclusif qu'il est aujourd'hui et qui vient d'organiser la 5ᵉ édition du Festiv·iel, il a d'abord été une salle des fêtes puis la première Maison de la danse de France.

Photo : 1994, ouverture du théâtre © DR

Il faut l'imaginer avec des voitures garées devant sa grande façade arrondie. C'est une époque pas si ancienne et on dirait que c'est aussi la préhistoire. Nous sommes en 1980 ; la Maison de la danse vient d'être inaugurée avec trois créations de Maguy Marin, Daniel Ambash et Quentin Rouillier dansées par le Ballet de Lyon ainsi que quatre danseurs de l'Opéra de Paris. Dans son quartier natal, le journaliste Guy Darmet pilote cet établissement alors inédit dans l'Hexagone et qui va s'avérer être un si grand succès qu'il migre dans son lieu actuel en 1992, en lieu et place de l'ancien Théâtre du 8e. Durant ce temps consacré à la danse, le bâtiment reste cependant ouvert aux activités municipales et à la vie associative du quartier. Il accueille de la danse dans tous ses états (la classique, la modern dance, la comédie musicale, la danse de jazz, le mime ainsi que des artistes internationaux et locaux). Le théâtre est reconnu pour privilégier la création. 

© Marion Bornaz

Danse et théâtre

En 1992, c'est l'heure du changement d'activité et du changement de nom. Le théâtre de la Croix-Rousse est confié au truculent et attachant metteur en scène, acteur et auteur Philippe Faure, décédé en 2010. Il fait alors venir Laurent Pelly et son si cher Mille francs de récompense qui en plombe les finances, Emmanuel Meirieu y débute en fanfare avec sa Trilogie des chimères amères, et suivent Irina Brook, Dan Jemmett, Marcial di Fonzo Bo, Dominique Pitoiset... Jean Lacornerie, épaulé par Anne Meillon qui lui succèdent ensuite avec une attention particulière accordée au théâtre musical. Le 1er janvier 2021, Courtney Geraghty prend la suite. Mais rembobinons.

Dans les années 1930, suivant l'immédiate après-Première Guerre mondiale, Édouard Herriot est soucieux que la Ville dont il est maire en deux temps (1905-1940 puis 1945-1957) soit équitablement dotée en structures de divertissement et de rassemblement. Il ne souhaite pas de territoire à l'abandon. Dans le 9e arrondissement - alors encore le 5e - c'est l'actuel TNG qui prend forme ; dans le 3e, c'est la Bourse du travail et dans le 4e, là-haut sur la colline qui travaille, c'est une salle des fêtes. Si c'est Charles Meysson qui se charge du bâtiment syndical, c'est Michel Roux-Spitz qui signe les deux autres, ainsi que, par exemple, l'hôtel des Postes et télégraphes sur la place Antonin Poncet qui fera scandale tant l'architecture semble "froide" par rapport à l'hôpital de la Charité dont il ne reste que la tour-clocher. L'architecte est pourtant un pur produit de son époque Art déco comme en témoigne le lustre plafonnier rond et constellé de rectangles au plafond de la salle de la Croix-Rousse. Alliant classique et modernité, maniant le béton à merveille pour l'ossature (le remplissage est fait des économiques pisé et mâchefer), cet élève de Tony Garnier, fils de soyeux fortunés, obtient même le prestigieux prix de Rome en 1920, à 32 ans. Sa façade comprend des motifs géométriques comme ceux qu'a incrusté Charles Meysson sur la Bourse du travail ou, avant lui, Tony Garnier dans les unités d'habitation du quartier des États-Unis ou au stade de Gerland.

Quand il répond à la commande d'Édouard Herriot, la Croix-Rousse est encore un territoire récent de Lyon, intégré à la Ville seulement en 1852 par décret de Napoléon III. S'ensuit la destruction des remparts sur l'actuel boulevard de la Croix-Rousse en 1861. Jusque-là, comme à Vaise et à la Guillotière, c'était une commune autonome. C'est face à l'hôpital (inauguré le 7 décembre 1861 pour désengorger l'Hôtel-Dieu) que s'installe cette salle des fêtes construite entre 1924 et 1929 et inaugurée en 1931, deux ans avant celle de Vaise. C'est alors un lieu dédié aux bals, concerts, projections cinématographiques, chorales, conférences, etc.

Salle des fêtes _ DR

Art déco et béton

Lorsque la Maison de la danse prend place dans ces murs, la salle est remaniée intérieurement et confiée à Paul Bacconnier. Les balcons latéraux sont détruits et l'orchestre nivelé pour permettre une totale visibilité de l'espace scénique. Actuellement la salle en forme trapézoïdale dispose de 594 places : 422 dans le parterre et 172 dans le balcon supérieur.

Près de 50 000 spectateurs et spectatrices sont accueillis chaque saison dans cette grande salle mais aussi dans la petite, dite le "studio" avec ses 6 rangées de gradins pour 80 spectateurs. Même la place Joannès Ambre, du nom de l'adjoint à la Culture de Francique Collomb, est un lieu de représentations festives.

Labellisé "patrimoine du XXe siècle", le théâtre n'a pas décroché de label national même si Philippe Faure a tant appelé de ses vœux celui de "Scène nationale" qu'il figure dans l'une des plaquettes de son mandat !

Subventionné à hauteur de 61% de son budget global, essentiellement par la Ville (à 45, 5%)*, le théâtre est animé par un projet artistique dorénavant tourné vers l'inclusivité faisant la part belle aux questions de genres notamment - Océan viendra en avril par exemple - et de féminisme - Adèle Haenel, Ovidie, Virginie Despentes sont au programme de la saison de ce lieu qui séduit la jeunesse. 27% du public avait moins de 30 ans l'an dernier.

*Financement actuel : 61% de subventions publiques (Ville de Lyon : 45, 5 % / DRAC : 28% / Région Aura : 21% / Métropole : 5, 5%)

Le théâtre de la Croix-Rousse en quelques dates
Architecte : Michel Roux-Spitz
1924-1929 : construction
1931 : Inauguration de la salle des fêtes du 4e arrondissement
1980-1992 : Maison de la danse
1994 : Ouverture du théâtre de la Croix-Rousse