Le mystère Gainsbourg

De quoi Charlotte Gainsbourg est-elle le nom ? De la fille de son père ? D’une comédienne à l’aura subtile ? D’une chanteuse discrète ? À l’occasion de son concert à la MC2 avec Connan Mockasin, on s’intéresse plus longuement à cette artiste difficilement cernable mais non moins captivante. Aurélien Martinez

Dans la grande famille des artistes français, il y a la frange des jeunes filles touche-à-tout nées sous les projecteurs, et qui continuent avec discrétion une carrière soigneusement construite. Vanessa Paradis en est un parfait exemple, elle qui fut violemment propulsée sur le devant de la scène en 1987 avec son tube Joe le taxi, négociant ensuite son virage musical au fil des rencontres (Serge Gainsbourg, Lenny Kravitz ou encore -M-), tout en ajoutant une corde à son arc en s’attelant dès 1989 au cinéma sous la caméra de Jean-Claude Brisseau – le dérangeant Noces blanches. Charlotte Gainsbourg en est un autre exemple. La fille du couple star Serge Gainsbourg et Jane Birkin fut ainsi rapidement poussée devant la caméra par sa mère. Bingo : un premier rôle à treize ans (dans Paroles et musique d’Élie Chouraqui), un César du meilleur espoir féminin à quatorze grâce à L’Effrontée de Claude Miller, et – grand saut dans le temps – un prix d’interprétation à Cannes en 2009 pour Antichrist de Lars von Trier. Entre toutes ces années, sa carrière a connu différentes phases : grosse baisse de régime pendant la décennie 90, retour sur le devant de la scène début 2000 avec les deux films de son compagnon Yvan Attal (Ma femme est une actrice et Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants) ou encore le 21 grammes d’Iñárritu. 

Une question d’envie

Voilà pour la case ciné. Mais comme Charlotte Gainsbourg est dans la catégorie des artistes français touche-à-tout, forcément, elle chante aussi. Là, c’est grâce à son père qu’elle débute derrière le micro dès ses douze ans, à la grâce du très dérangeant Lemon Incest : sur un air de Chopin, l’ado donne la réplique à son père et évoque cet « amour que nous n' f'rons jamais ensemble », « le plus beau, le plus rare, le plus troublant, le plus pur, le plus enivrant ». Forcément, à sa sortie, le titre choque, même s’il est depuis rentré dans la postérité, à juste titre. Deux ans plus tard, c’est donc tout naturellement que sort Charlotte for ever, œuvre de Serge Gainsbourg interprétée par sa fille. Puis plus rien, ou presque (une participation aux Enfoirés en 1994, passage obligé pour les artistes de l’époque), jusqu’en 2003 (le duo If avec Étienne Daho). L’envie semble revenir, et trois ans plus tard paraît l’élégant 5 : 55. Du coup, on se rend compte du potentiel de la jeune femme. À travers sa voix notamment, discrète, frêle, que les compositions du groupe Air, maître d’œuvre de ce 5 : 55, habillent avec grâce. Charlotte Gainsbourg raconte en interview avoir énormément bossé pour ne pas se planter (elle était attendue au tournant), et surtout pour prendre le dessus. Car quand son père se servait de ses égéries comme d’une pâte à modeler à fantasmes (ce qu’il fit magnifiquement avec Bardot), Charlotte Gainsbourg s’est ouvertement refusée à la sacralisation. 

En aparté

Trois ans plus tard, c’est le grand Beck qui la prend sous son aile. Le résultat confirme l’essai précédent : IRM est une réussite. D’abord parce que Beck varie judicieusement les styles, surtout parce que Charlotte Gainsbourg se prête au jeu avec délice, en cosignant les textes. Un album fourni fait pour la scène. Problème : avant la sortie d’IRM, Charlotte Gainsbourg ne s’était jamais produite seule en concert – la question ne s’était même pas posée pour 5 : 55. Un problème de légitimité expliquait-elle à l’époque. Elle a donc franchi le pas il y a deux ans, et s’est même fendue d’un live accompagné de quelques inédits. C’est à cette occasion qu’elle passera par la MC2, accompagnée de Connan Mockasin. L’album s’appelle Stage Whisper (aparté en français). Tout un programme, qui lui va à ravir.

Charlotte Gainsbourg "Stage Whisper" avec Connan Mockasin + Lescop, mercredi 30 mai à 19h30, à la MC2

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