Mardi 19 octobre 2021 Il fut un temps, il y a une quinzaine d'années, où Emily Loizeau émargeait au milieu d'Anglo-saxons sur un beau label parisien baptisé Fargo ayant pour (...)
«Tyger, Tyger burning bright !/In the forests of the night/What immortal hand or eye/Could frame thy fearful symmetry ?». C'est sans doute l'un des plus beaux quatrains jamais écrits par un poète anglo-saxon, en l'occurrence William Blake (1757-1827) et, surtout, l'un des plus musicaux. Guère étonnant puisque The Tyger est tiré de ses Songs of Experience – le poème fut même massacr... pardon, mis en musique, par Tangerine Dream en 1987.
Sur son dernier disque, Mothers & Tygers, Emily Loizeau en utilise les deux premiers vers. Il faut dire que Blake, inventeur de l'expression «les portes de la perception» reprise par Huxley, et illustrateur de L'Enfer de Dante, est sans doute le poète (et peintre) le plus cité de la culture populaire : de Jim Jarmusch (Dead Man) à Marvel (Wolverine), d'Alan Moore (From Hell) à David Fincher (Se7en), en passant par le Dragon Rouge de Thomas Harris, inspiré d'un de ses tableaux.
C'est avec Blake, donc, qu'Emily Loizeau est revenue via l'Ardèche, d'un Pays sauvage caricaturant par trop le néo-folk hipster américain. Bien lui en a pris car Mothers & Tygers est un album en parfait équilibre sur plusieurs fils : anglais/français, Blake/Loizeau, folk (aux accents parfois médiévaux)/chanson.
On y trouve même quelques perles comme on en entend chez peu de chanteuses françaises : Marry Gus and Celia, petit bijou d'écriture, en duo avec Camille, qui s'achève en une envolée de flûtes, ou le final de l'enfantin Parce que mon rire a la couleur du vent. Un Blake transmis par sa grand-mère, Peggy Ashcroft, comédienne anglaise lauréate d'un Oscar, des textes sur la maternité (Emily Loizeau est désormais maman), l'enfance : la chanteuse rassemble ici les morceaux de sa personnalité pour ce qui est sûrement son album le plus intime et de loin le plus réussi.
Stéphane Duchêne
Emily Loizeau
Au Théâtre de Vénissieux, vendredi 16 novembre
«Mothers & Tygers» (Polydor)
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