L'apprentissage en question

Premières victimes du chômage et davantage encore par (mauvais) temps de crise économique, les jeunes craignent pour leur futur emploi et se préoccupent de savoir dès le début de leur formation si celle-ci va leur permettre d'y accéder facilement. Longtemps considérée comme une voie par défaut, l'apprentissage semble alors s'imposer comme un compromis prometteur, permettant de conjuguer formation étudiante et immersion professionnelle. Thierry Repentin, Ministre délégué auprès du ministre du Travail, de l'Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social Michel Sapin, en charge de la Formation Professionnelle et de l'Apprentissage, nous éclaire sur le sujet. Propos recueillis par Christine Sanchez.

La lutte contre le chômage est l’une des priorités du Gouvernement Ayrault. Le taux de chômage des moins de 25 ans est aujourd'hui de 22 % à l'échelle nationale, mais atteint le double dans les zones urbaines sensibles, 130 000 jeunes se retrouvant chaque année sans aucune qualification à l'issue de leur cursus scolaire ! En quoi la formation en apprentissage peut-elle être une des réponses à ce fléau ?

 

Toute l’action du gouvernement est centrée sur trois objectifs prioritaires : l’emploi, la jeunesse et la préparation de l’avenir. La formation professionnelle et l’apprentissage se trouvent à la croisée de ces trois orientations. En effet, le constat est clair : le taux de chômage des jeunes sans qualification est quatre fois et demi plus élevé que le taux de chômage des jeunes diplômés du supérieur.

Il y a donc un lien évident entre l’emploi et la qualification. Tout doit être fait pour diviser par deux d’ici 2017 le nombre de jeunes entrant sur le marché du travail sans aucun diplôme ni aucune qualification. C’est l’engagement pris par l’Etat et les Régions.

Avec Michel SAPIN, Ministre de l’emploi, du travail, de la formation professionnelle et du dialogue social, nous avons donc demandé aux services de l’Etat, aux Régions et aux acteurs locaux la mise en place de « Pactes régionaux de réussite éducative et professionnelle des jeunes » afin de mobiliser toutes les forces vives territoriales pour permettre à chaque jeune d'accéder à un premier niveau de qualification.

L’apprentissage est un levier important à mobiliser pour atteindre cet objectif, car il permet de s’insérer plus facilement dans l’emploi : 40% des apprentis ont un emploi immédiatement à l’issue de leur contrat et 80% dans l’année qui suit.

 

Le sentiment est encore trop répandu en France que les formations en alternance, particulièrement celles dans le cadre de l’apprentissage, seraient d’une moindre valeur, une voie par défaut, que l'on emprunte seulement quand on est en situation d'échec ou qu'on n’a pas pu faire autrement. Comment combattre ces idées reçues ?

 

Oui effectivement, c’est encore trop souvent le cas, mais le regard des jeunes et des familles est en train d’évoluer. L’image de l’apprentissage apparaît de plus en plus comme une voie de réussite – ce qu’elle est effectivement - et nous devons accompagner cette évolution. L’image de l’apprentissage est également liée à notre système d’orientation. C’est pourquoi, dans le projet de loi de décentralisation, il est prévu que les milieux professionnels soient mieux associés au service public de l’orientation dont la coordination sera confiée aux Régions.

Toutes les voies de formation ont leur légitimité : certains jeunes se sentent mieux dans le cadre du système scolaire, d’autres dans la voie de formation sous contrat de travail. Il faut considérer toutes les voies avec une égale dignité.

 

Comment expliquer – et à terme combler - le retard par rapport à certains de nos voisins de l'Union Européenne, où les résultats sont probants?

 

Il faut parfois se méfier des effets d’optique ! Les comparaisons  au plan européen mettent toujours en exergue la situation de l’Allemagne où le système d’alternance, dit « dual », est fortement développé.

Il convient de souligner que la plupart des formations professionnelles sont dispensées en Allemagne dans ce cadre. C’est même le mode obligatoire et unique de formation pour plusieurs centaines de métiers qui sont régis par des « règlements de formation ».

En France, la situation est plus diverse : les formations professionnelles et techniques sont dispensées par deux voies différentes mais complémentaires : celle de l’alternance (contrat d’apprentissage et de professionnalisation), et celle des lycées professionnels et technologiques. Si on ne regarde que l’alternance, on a une vue tronquée. Or le nombre de jeunes formés au moyen de ces différentes voies cumulées est du même ordre que le nombre de jeunes formés dans le cadre du système dual allemand.

 

En France, les conditions de vie et de travail difficiles des apprentis sont souvent un frein à la conclusion de contrats, mais aussi l’une des principales causes de ruptures. Comment comptez-vous aider les apprentis à faire face à ces difficultés ?

 

Je souhaite que tout soit fait pour améliorer les conditions de vie des alternants et en particulier des apprentis. Je suis très sensible à cela, car je crois que l’on ne peut pas se préoccuper de l’avenir de l’apprentissage sans se soucier des conditions de vie et de travail des apprentis. Une partie significative d’entre eux vit dans des conditions sociales, familiales et financières difficiles qui sont souvent un frein à la conclusion de contrats, mais aussi l’une des causes de certaines ruptures.

Je sais que la plupart des CFA développent avec un soin toujours plus grand des actions d’accompagnement individualisé des apprentis, sur le plan pédagogique bien sûr, mais aussi sur tous les registres de leur vie quotidienne. Je les encourage à amplifier encore leur action dans ce domaine, en pensant particulièrement aux problèmes de restauration et d’hébergement. En effet, un apprenti est souvent écartelé entre trois lieux de vie : son domicile familial, son CFA et son entreprise… lesquels sont rarement dans la même ville ni même en proximité. Cet écartèlement induit des coûts importants, difficiles à supporter pour un certain nombre d’apprentis. Il induit aussi de la fatigue qui est l’une des causes des ruptures de contrat.

Et c’est pourquoi j’attache une grande importance au développement des projets de l’action « formation en alternance et hébergement » du programme des investissements d’avenir, déployé par la Caisse des dépôts et consignations, et qui a déjà permis la mobilisation de plus de 200 M€ pour la mise en œuvre de 51 projets sur l’ensemble du territoire national qui permettront d’investir dans 11 500 places  en apprentissage pendant que 4 000 places d’hébergement seront construites, reconstruites ou rénovées.

La question des conditions de travail des apprentis relève quant à elle pour l’essentiel des employeurs, et je ne manque pas d’attirer l’attention de leurs organisations professionnelles dans toutes les occasions que j’ai de le faire. Les CFA doivent également jouer leur rôle d’accompagnant, pour détecter les situations difficiles.

 

Certains jeunes ont également aujourd'hui des difficultés à signer un contrat d'apprentissage en entreprise alors que leur admission en CFA en dépend. Comment expliquer ce dysfonctionnement et comment comptez-vous y remédier ?

 

Il est vrai que de nombreux jeunes qui recherchent un contrat d’apprentissage rencontrent parfois de grandes difficultés pour trouver un employeur. C’est le cas en particulier de ceux qui ne disposent pas d’un réseau familial ou social susceptible de les aider suffisamment. Je reçois de trop nombreux courriers de jeunes - et de leurs familles – désespérés qui ont une place dans un centre de formation mais ne trouvent pas d’entreprise et de contrat d’apprentissage. Je ne m’y résous pas. Le succès de l’apprentissage nous oblige tous et on ne peut laisser la responsabilité de trouver l’entreprise sur les seules épaules des familles et des jeunes.

C’est pourquoi j’ai prolongé en 2013 le financement des 275 développeurs de l’apprentissage. Ces développeurs ont pour mission de promouvoir l’apprentissage auprès d’entreprises qui n’embauchent pas ou pas assez  d’apprentis.

Mais je veux dire aussi que les CFA eux-mêmes ont un rôle à jouer car ils sont la porte d’entrée du jeune dans le système de l’apprentissage. Ils doivent davantage les accompagner et animer eux aussi des réseaux d’employeurs potentiels, en lien étroit avec les développeurs. Or pour l’heure les situations sont très inégales d’un CFA à l’autre.

 

Le Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi a fixé l’objectif de faire progresser le nombre d’apprentis de 435 000 actuellement à 500 000 d’ici 2017. Comment comptez-vous atteindre cet objectif et mobiliser l'ensemble des partenaires ?

 

500 000 apprentis d’ici 2017, c’est un objectif raisonnable, réaliste, atteignable si tous les partenaires se mobilisent : les entreprises, les organisations professionnelles et consulaires, les Régions, les partenaires sociaux et bien entendu les CFA eux-mêmes.

Nous avons d’ailleurs une opportunité à saisir avec le  contrat de génération qui entrera en vigueur dans quelques jours. En effet, l’entreprise qui recrute un jeune en contrat de professionnalisation CDI ou bien qui embauche en CDI un jeune au terme de son contrat d’apprentissage chez elle pourra comptabiliser ces deux recrutements au titre du contrat de génération et bénéficier des avantages qui en découlent, pour maintenir le senior et pour garder le jeune apprenti à la fin de son apprentissage.

Par ailleurs, d’importantes marges de progression existent dans la Fonction publique territoriale et dans des secteurs où l’apprentissage est peu développé, comme par exemple l’économie sociale.

 

Aujourd'hui, les Centres de formation d'apprentis forment à plus de 500 métiers différents, notamment dans le secteur tertiaire, en permettant d'accéder à tous les niveaux d'études, du CAP dans le secondaire à des diplômes de niveau I. L'apprentissage doit-il être généralisé à la formation aux nouveaux métiers, notamment ceux identifiés par le Pacte de compétitivité comme cibles du programme d'investissements d'avenir ?

 

Oui, je le souhaite et nous y travaillons de manière interministérielle, notamment sur les métiers des  éco-industries, les métiers verts, les métiers de l'énergie renouvelable, les métiers du traitement et de la valorisation des déchets, du traitement de l'eau, de l'agroalimentaire, des services à la personne, du secteur médico-social et dans le tourisme.

Il faut se tourner vers toutes ces filières porteuses qui demandent une anticipation des besoins. J’étais à ce propos en Savoie la semaine dernière avec Geneviève FIORASO et Delphine BATHO afin de montrer que le Gouvernement est pleinement mobilisé, dans toutes ses composantes, pour soutenir les filières émergentes. Je travaille également avec Stéphane Le Foll sur le secteur de l’agro-alimentaire.

 

Vous avez également évoqué la préparation d'un plan de développement de l'apprentissage et un projet de loi sur la formation professionnelle et l'alternance courant 2013. Quels en seront les principaux enjeux ? On parle notamment d'une réforme de la taxe d'apprentissage pour vérifier que les fonds de l'apprentissage bénéficient effectivement aux formations en apprentissage...

 

Il est effectivement prévu qu’un projet de loi soit présenté au Conseil des Ministres avant l’été.

Son volet formation professionnelle portera principalement sur l’offre de formation et sa qualité et sur les modalités de mise en œuvre du compte personnel de formation issu de l’accord signé le 11 janvier par les partenaires sociaux.

Ce projet de loi comportera un volet apprentissage qui traitera notamment de la taxe d’apprentissage. C’est un sujet complexe sur lequel nous sommes dans une phase de concertation large avec les nombreux acteurs concernés. Il s’agit de construire un mode de collecte et de répartition de la taxe qui soit à la fois plus simple, plus efficace et plus juste, avec une préoccupation particulière pour les formations visant les premiers niveaux de qualification.



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