Vincent Dedienne : profession amuseur

Vincent Dedienne / "S'il se passe quelque chose"

TMG - Théâtre 145

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Et si l’humour et le théâtre se réconciliaient ? C’est ce que propose le jeune comédien Vincent Dedienne avec son spectacle "S’il se passe quelque chose" : un seul-en-scène alternant sketchs savoureux et textes plus personnels. Un véritable bijou, accessible et excellemment bien écrit, que l’on vous invite à découvrir dans le cadre des 20 ans du "Petit Bulletin" – oui, le journal se la joue programmateur ! Mais au fait Vincent, qui êtes-vous ?

Comment un comédien de formation classique, après avoir joué divers grands auteurs (Hugo, Molière, Duras...), se retrouve à faire un spectacle d’humour ?

Vincent Dedienne : Parce que j’en rêve depuis que j’ai découvert le théâtre par ce biais. Muriel Robin, Pierre Palmade... : ce sont eux qui m’ont donné envie de faire le métier de comédien. L’idée d’être seul en scène m’a toujours excité. Avant de connaître Shakespeare, Claudel ou je ne sais qui, je pensais que le théâtre c’était ça : uniquement des gens qui écrivent leurs propres textes et qui les disent seuls en scène. J’y suis donc revenu quand j’ai eu un peu moins de travail, pour voir comment ça pouvait se réconcilier avec une formation classique.

Avec l’idée d’être mieux armé grâce à cette formation (à l’école de la Comédie de Saint-Étienne) ?

Ce n’est pas tant d’être armé... Dans une école supérieure d’art dramatique, quand tu fais justement de l’art dramatique, il y a l’idée que c’est honteux d’avoir l’ambition d’être un amuseur. Être acteur et amuseur, c’est une paire qui ne va pas de soi. Alors que je trouve que c’est le même métier – celui que je voulais faire petit ! C’est donc plutôt : à un moment, rien à faire, j’assume ce désir. Je pourrais l’enfouir et me dire que je ne suis pas un amuseur, que je ne rêve pas de l’être. Mais je préfère m’assumer et voir quel amuseur je peux être en utilisant la plus-value qui me vient de la formation reçue.

D’où l’idée que S’il se passe quelque chose soit présenté comme un seul-en-scène, et non comme un one-man-show...

Être un amuseur, ce n’est pas la même chose qu’être un comique comme on l’entend aujourd’hui. Ça ne peut donc pas être un one-man-show, je ne peux pas être un humoriste ou un comique, parce que je n’ambitionne pas de faire marrer les gens. J’ambitionne de faire un spectacle, c’est ça que j’aime ; pas les blagues... Après, avec le terme seul-en-scène, le glissement sémantique façon Télérama est un peu risible, certes, mais on n’est pas obligé de dire seul-en-scène !

Comment a été pensé le spectacle ? Il y a dû, au début, avoir la peur de la page blanche ?

Il y a la page blanche longtemps, la paralysie en se disant : de quoi je vais bien pouvoir parler, moi qui n’ai que 24 ans – l’âge auquel j’ai commencé à écrire le spectacle –, moi qui n’ai vu que trois régions en France métropolitaine... Pendant plusieurs semaines, je me suis donc dit que je ne pouvais parler de rien car je ne connaissais rien ! Et puis un matin, il y a eu cette idée de sujet que je maîtrise finalement pas mal : moi ! En plus, ça tombe à un moment où je suis en pleine lecture de romans issus du courant de l’autofiction, ce qui confirme que j’ai du goût pour les gens qui se racontent eux-mêmes, parce que j’y trouve de l’universalité. Donc c’est décidé, je vais le faire, tout en me moquant de l’idée que c’est forcément mégalo de faire un spectacle sur soi !

Ça peut être très mégalo, mais aussi très impudique...

Oui, ça m’a aussi fait peur. Quand j’ai commencé à écrire le spectacle, j’en répétais un sur Hervé Guibert [écrivain français qui a beaucoup utilisé l’autobiographie et l’autofiction – ndlr]. Lui, il a très vite rangé ces questions au grenier en affirmant que la pudeur et l’impudeur étaient la même chose, et qu’on ne pouvait écrire que sur soi. Du coup, cette peur de l’impudeur m’a quitté pendant l’écriture. Et puis, de toute façon, il y a des gens qui ne disent rien sur eux mais qui sont infiniment impudiques, alors que d’autres posent leurs tripes sur la table en le faisant, bizarrement, avec beaucoup de pudeur... C’est étrange la pudeur...

Le fait de ne pas avoir conçu le spectacle seul a-t-il aussi permis d’éviter les écueils de l’impudeur ?

La première mouture du spectacle faisait trois heures ! Mélanie Le Moine et Juliette Chaigneau [la première a participé à l’écriture, la seconde à l’écriture et à la mise en scène – ndlr] m’ont aidé à couper. On a notamment enlevé les choses beaucoup trop impudiques, où l’on sentait qu’il n’y avait pas assez de distance, que je réglais des comptes... Je ne le voyais pas, je pensais que tout avait la même valeur, qu’il n’y avait pas des choses plus douloureuses ou plus intimes que d’autres. Alors que si. Elles ont enlevé tout ce qui aurait pu empêcher cette universalité.

À quel moment de l’écriture sont arrivés les nombreux sketchs qui émaillent le spectacle ?

Le tout début, c’est les sketchs, c’est celui de Marie-Antoinette. Un jour, j’ai entendu la comédienne Dominique Reymond, invitée à la radio par Guillaume Gallienne, lire la lettre de Marie-Antoinette adressée à sa sœur avant d’être guillotinée. Du coup, j’ai eu l’idée d’écrire la réaction de la sœur. En parallèle, j’avais commencé un monologue plus personnel. Je me suis alors rendu compte que ce sketch et ce monologue étaient deux aspects de moi à des âges différents : les sketchs, c’est le goût pour l’humour que j’ai depuis tout petit, et le monologue, c’est vraiment mon expérience de lecteur à ce moment-là à travers Guibert.

Dans les sketchs, on perçoit l’influence d’humoristes stars comme Muriel Robin, Pierre Palmade, mais aussi Élie Semoun, Alex Lutz... Ce sont des références assumées ou inconscientes ?

C’est les deux en même temps. Inconscientes parce que, comme j’ai été très spectateur de ces gens-là, ça imprime forcément l’écriture et le jeu. Petit, j’ai fait la queue longtemps devant des zéniths pour être assis au premier rang d’Élie Semoun, de Pierre Palmade, même de Jean-Marie Bigard. Aujourd’hui encore c’est ma culture. Même avant d’avoir l’idée de faire ce spectacle, j’allais et à la Colline [théâtre parisien centré sur les écritures contemporaines – ndlr] et au Point Virgule [salle axée humour – ndlr].

Les sketchs du spectacle sont de véritables petites pièces (comme ceux des humoristes déjà cités), avec la création d’un personnage, d’une situation, d’une intrigue... On est donc loin d’une partie de la scène comique actuelle, issue de la culture stand-up, avec ses éternels thèmes mon mec / ma meuf, mes amis, mon téléphone, l’alcool... Là aussi, c’est assumé ou inconscient ?

Je ne me suis jamais dit que j’allais faire un truc à contre-courant de ce qui se passe maintenant. Mais simplement, comme je n’ai pas beaucoup de goût pour ce qui se passe maintenant, j’étais content de voir que ce qui sortait naturellement de ma plume et de celle de Juliette, ce n’était pas ça. On me dit souvent qu’il y a un côté un peu désuet dans le spectacle... En plus, je cite des gens que ma génération ne connaît plus trop, comme Jacqueline Maillan... Mais en même temps, comme je n’ai pas 45 ans, le tout donne une alchimie à mon avis marrante !

Le spectacle a été créé en mai dernier à Paris, mais une toute première version avait été présentée en octobre 2011 à Grenoble...
Oui. Et le théâtre a fait faillite après [Le Fitzcarraldo, devenu depuis La basse Cour – ndlr] !

Et depuis mai dernier, tout va très vite, avec notamment un succès rapide, ou encore le premier prix au dernier Montreux Comedy Festival (Suisse). C’est encourageant ou effrayant ?

C’est un peu effrayant, même si c’est plus encourageant qu’effrayant ! Ce qui est très encourageant surtout, c’est que ça me plaît de le faire. Au tout début à Grenoble, l’idée était de vérifier si j’aimais toujours être seul en scène. Est-ce que je n’allais pas m’ennuyer et avoir vite envie de retrouver des partenaires. Et, bien sûr, c’est aussi encourageant d’entendre les gens rigoler, de voir que le spectacle leur plaît !

Il plaît aussi à de grands noms de l’humour, comme François Rollin qui a récemment apporté sa patte...

C’est dingue, car je suis fan de François Rollin depuis très longtemps ! On s’est rencontrés par hasard à Paris, gare de Lyon, alors que j’étais en train d’écrire le spectacle. Je lui ai envoyé le texte, puis ensuite la vidéo de la première. C’est après ça qu’il s’est rendu compte que l’ensemble lui plaisait bien, mais qu’il manquait un petit quelque chose. Petit quelque chose que, du coup, on a décidé de chercher ensemble.

Un autre nom connu est récemment entré dans la boucle : c’est Laurent Ruquier, via sa boîte de production. Sachant que, contrairement à ce que l’on pourrait croire, il ne produit que deux autres artistes (Gaspard Proust et Michael Gregorio) : ça laisse présager une belle carrière au spectacle !

On n’en sait rien ! Ruquier, Rollin, moi, on ne peut rien prévoir. Il n’y a que le public qui va faire ou non le succès du spectacle. Mais bien sûr, j’ai énormément de chance, parce que j’aurais peut-être mis cinq ans à faire seul ce qui maintenant va prendre un mois, parce que je suis entouré d’une équipe formidable.

L’avenir, c’est donc le développement du spectacle... Ce qui, on imagine, ne veut pas dire l’abandon du théâtre plus classique par exemple ?

J’espère. Je veux tout faire ! Quand j’étais petit, je disais que ma vie idéale serait de faire un one-man-show en janvier, en février un Claudel, en mars un spectacle de danse, en avril de la radio... Je trouve qu’un comédien a plus de facettes que ce dont on a l’habitude en France. Du coup, si je développe mon spectacle l’année prochaine, j’espère qu’on me laissera la possibilité de faire autre chose dans deux ans. J’ai notamment hâte de rejouer de grands auteurs...

S’il se passe quelque chose, lundi 24 février à 20h au Théâtre 145. Réservations sur www.digitick.com ou au 04 76 84 79 30

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