Cannes 2015, jour 5. Oh ! Carol…

"Carol" de Todd Haynes. "Mon roi" de Maïwenn. "Plus fort que les bombes" de Joachim Trier. "Green Room" de Jeremy Saulnier.

Il fait beau et chaud sur Cannes, et tandis que les plagistes ont les pieds dans l’eau, les festivaliers continuent de macérer dans une mare de sueur, brûlant au soleil de files d’attente désespérées, rabrouant les resquilleurs, espérant secrètement découvrir de beaux films. À la mi-temps du festival, on est encore dans l’expectative. Il faut dire que des films, on n’en voit moins que les années précédentes, et surtout que l’on se concentre sur les films événements. A perdre chaque jour entre trois et cinq heures à attendre, on doit forcément sacrifier la part de découverte pourtant essentielle à la manifestation. D’où l’impression d’assister à une grande preview des films importants de l’automne, plus qu’à une compétition en bonne et due forme.

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Carol : Tood Haynes sublime le mélodrame

Si toutefois on devait jouer le jeu des pronostics, on dirait que Carol de Todd Haynes ferait une très belle Palme d’or. Ce n’est pas ce qu’on a vu de mieux dans ladite compétition — Le Fils de Saul a notre préférence — mais il marque une étape décisive dans la carrière d’un cinéaste plutôt rare, dont chaque œuvre était jusqu’ici pétrie de contradictions, tiraillée entre la cinéphilie fétichiste de leur auteur et son attachement viscéral à ses sujets.

Carol règle assez vite le problème : si sa reconstitution des années 50 évoque tout un pan de la culture américaine, allant des mélos de Douglas Sirk à la série Mad Men en passant par les peintures d’Edward Hopper, jamais Haynes n’en fait un decorum vintage chic. C’est plutôt l’écrin nécessaire pour raconter son histoire, dont les apories sociales et morales sont liées au puritanisme et aux normes de la période abordée.

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On y découvre Therese (Rooney Mara), jolie vendeuse dans un grand magasin à l’approche de Noël, encore engoncée dans le costume de la future bonne épouse d’un brave type sympathique mais un peu falot. C’est comme ça, et ça pourrait le rester si un jour ne débarquait dans son rayon Carol (Cate Blanchett), grande bourgeoise énigmatique qui exerce sur elle une fascination immédiate. À la faveur d’une paire de gants oubliés, Therese va rentrer dans l’intimité de Carol, découvrant une femme mariée mais en instance de divorce que son mari n’a pas l’intention de laisser partir si facilement. D’autant plus qu’il y a une petite fille au milieu, qui va devenir un objet de chantage affectif lorsque la relation d’amitié entre Carol et Therese va lentement glisser vers la passion charnelle.

Tiré d’un livre de Patricia Highsmith, Carol est donc le drame d’un amour lesbien que la société réprouve comme immoral et déviant. Autant dire du pain béni pour Haynes qui avait mis en scène peu ou prou la même chose mais du point de vue de l’épouse d’un homo refoulé dans Loin du Paradis. Nulle volonté polémique cependant dans ce film-là, mais une délicatesse absolue pour peindre le lent mouvement d’un désir naissant, qui culminera dans une scène de sexe parmi les plus ardentes qu’on ait vues sur un écran depuis longtemps.

Surtout, Haynes assume pleinement la modernité de son cinéma : l’écriture, la mise en scène et le jeu des deux comédiennes, fabuleuses, sont en symbiose parfaite, entièrement dévoués à raconter avec le maximum de justesse et de sensibilité ce qui se joue à l’écran. Car au-delà de cette fugue sentimentale, c’est bien le beau récit d’une chrysalide qui se change en papillon que raconte Todd Haynes. Therese rêve en effet de devenir photographe ; et si son histoire avec Carol semble vouée à l’échec, condamnée de toute part par les tenants d’un ordre moral inflexible, cette passion-là va la révéler à elle-même et lui donner envie de laisser libre cours à ses aspirations personnelles.

Tout tient dans une série de clichés que Therese fait de Carol : d’un seul coup, son regard transpire à travers ses images, leur donne une singularité et une vibration, même maladroite, même balbutiante. Impossible de ne pas faire le lien avec le cinéma de Todd Haynes : soudain libéré du poids de ses influences, enfin libre d’être lui-même, il peut s’abandonner au premier degré dont il a toujours rêvé. Et nous faire pleurer sans artifice ni pathos.

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