Avec "Une vie violente", en salle le 9 août, le metteur et scène, acteur et cinéaste Thierry de Peretti consacre un film à son île dorigine, la Corse. Une uvre politique, loin des clichés, quil évoque avec son comédien fétiche Henri-Noël Tabary.
Thierry, depuis combien de temps portiez-vous Une vie violente ?
Thierry de Peretti : Depuis Les Apaches, je cherchais un récit capable d'évoquer la force romanesque de ce que je vois et ressens en Corse sur la société corse de cette époque-là. Mais pour moi, cest moins une reconstitution quune évocation ou quun dialogue avec ces années-là. Ce nest pas le film ultime sur le nationalisme en Corse et la lutte armée. Le personnage de Stéphane passe par là comme Rimbaud passe par la poésie et se rêve ailleurs. Il est un peu comme le Prince Mychkine dans LIdiot de Dostoïevski : il nous fait pénétrer plusieurs cercles de la société : les étudiants, les petits voyous, les nationalistes
Henri-Noël, comment vous êtes vous immergé dans ce rôle et ce contexte ?
Henri-Noël Tabary : Un mois avant de tourner, Thierry a voulu que Jean Michelangeli [linterprète de Stéphane NDLR] et moi soyons dans la ville de Bastia pour la préparation. On était payés à boire des verres, à aller au resto (sourires). Cétait de limprégnation, ça nous a beaucoup aidés. En deux semaines jai repris laccent que javais perdu en montant à Paris il y a 10 ans !
Comme ce sont des petites villes, tout le monde savait ce quon venait faire ici et nous parlait : on vivait le film même en dehors du film. On nous a raconté mille histoires tout et son contraire. Notre parti pris a été de créer nos personnages à partir de ces histoires. Le mien est tiré de quelquun ultraviolent pour certains, ultra gentil pour dautres, voire fou tout dépend qui parle.
Parmi des gens qui ont des petits rôles, certains ont eu des activités politiques ou fait de la prison l'un dentre eux ne sen cache pas, il est même conseiller technique du film. Cétait très intéressant : il nous expliquait la façon dont il shabillait, de mettre une arme je nen ai jamais portée.
Il y a très peu de films sur le nationalisme corse, cest même lun des premiers
TdP : Oui, cest le premier de fiction. La toile de fond, cest un personnage qui se trouve accaparé par un groupe dhommes très impliqués dans les questions politiques et clandestines en Corse. Il décide de sy investir, dy travailler et dy croire. Toute aussi importante pour moi est la question de ses amis, qui viennent de la ville de Bastia ce nest pas une histoire dAjaccio. Bastia était traversée par ces questions-là de façon plus violente. Jai le même âge, je suis de la même génération que ces personnages, on a les mêmes backgrounds socioculturels, mais pas le même parcours.
Vous refusez ici très nettement ce "pittoresque corse" qui pollue nombre de films et téléfilms
TdP : Ça faisait partie du projet politique. En Corse ou ailleurs, la façon dont on représente les personnes et les territoires, elle doit être en 2017 juste, précise et profonde. Il faut arrêter Astérix en Corse ! Je ne dis pas quil ny a pas une mémoire commune, une douleur commune ; je nai rien contre les belles plages et la belle montagne. Après, je montre ce que je trouve beau et mystérieux comme les cafés, hérités du néoréalisme ; je choisis de ne pas montrer ce que je ne trouve pas intéressant.
Vous dénoncez la violence, mais pour cela vous devez la représenter. Cest un cas conscience
TdP : Dans le film, il y a finalement assez peu de scènes de violence. Jessaie de les montrer dans ce quelles ont de très crues et en même temps de très traumatisantes. La solution du plan-séquence permet de les montrer dans un seul et même tenant, mais aussi de mettre le spectateur dans une situation très inconfortable une confrontation avec la violence, sans "mode demploi", en direct sous ses yeux, comme une chorégraphie. Le spectateur doit se débrouiller avec le désarroi provoqué par le plan-séquence. Mais jai une foi dans le cinéma : à partir du moment où on met les images, où on montre les choses qui vous hantent, elles cessent de vous hanter. Cest comme un cauchemar : il fait un peu moins peur quand on le raconte.
Comment vivez-vous cette réputation de violence attachée à la Corse ?
HNT : Ni mal, ni bien : elle est vraie. Vous avez vu la scène de violence, où ça tire ? Cest la réalité. Quand on est "en bas", on ne se rend pas compte. Mes amis parisiens me prenaient pour un menteur quand je leur racontaient des histoires. On est dans les rapports de force et de violence. Et du fait de cette réputation, lorsquil y a un mort en Corse, il est dans le journal. Cest un folklore, ça plaît beaucoup. Mais comme dans tout folklore, il y a un peu de vérité.
Aujourdhui, le nationalisme est moins "occulte" ; il est devenu politiquement institutionnel
HTN : Même les élus disent que la violence et les armes nont plus leur place ; cest quand même une grande avancée ! Mais les jeunes qui ont 30 ans, allez leur dire ça : ils sont révoltés, comme la "génération sacrifiée" du film.
Avez-vous présenté le film sur lîle ?
HNT : Il y a eu une projection à Porto-Vecchio et une à Bastia. Celle à Porto-Vecchio sest très bien passée : jai invité plein damis ; je voulais vraiment quils voient le film, je pensais que ça allait faire résonance. Femmes et hommes sont sortis bouleversés. Des amis qui vivent à lannée sur place mont dit : « jaurais pu être au milieu de ça ». Jai moins parlé avec ceux de la génération sacrifiée mais jai eu des retour indirects de personnes très concernées, qui ont été touchées parce quelles ont senti quil ny avait pas de jugement de la part du réalisateur ni de notre part dans le jeu. On nest pas la pour juger les gens, mais pour essayer de comprendre.