En général, la fonction crée l'organe. Parfois, une disposition crée la fonction. Comme pour l'ancien vice-président des États-Unis Dick Cheney, aux prérogatives sculptées par des années de coulisses et de coups bas, racontées ici sur un mode ludique par Adam McKay. Brillant et glaçant.
Le fabuleux destin d'un soûlard bagarreur troquant, après une cuite de trop et les admonestations de son épouse, sa vie de patachon pour la politique. D'abord petite main dans l'administration Nixon, l'insatiable faucon parviendra à devenir le plus puissant des vice-présidents étasuniens...
Reconnaissons à Hollywood ce talent que bien des alchimistes des temps anciens envieraient : transformer la pire merde en or. Ou comment rendre attractive, à la limite du grand spectacle ludique, l'existence d'un individu guidé par son intérêt personnel et son goût pour la manipulation occulte. C'est que Dick Cheney n'est pas n'importe qui : un type capable d'envoyer (sans retour) des bidasses à l'autre bout du monde lutter contre des menaces imaginaires histoire d'offrir des concessions pétrolières à ses amis, de tordre la constitution à son profit, de déstabiliser durablement le globe peut rivaliser avec n'importe quel méchant de franchise.
Il est même étonnant que le réalisateur Adam McKay parvienne à trouver une lueur d'humanité à ce Républicain pur mazout : en l'occurrence son renoncement à la primaire afin d'épargner sa fille lesbienne d'un déferlement médiatique hostile venant de ses adversaires conservateurs.
Trop de la Bale
S'auto-zappant continûment, ironisant sur son sujet, cette biographie volontiers incorrecte dans l'approche (elle affiche d'entrée son irrévérence et les éventuelles approximations – « et pourtant on a bossé, bordel ») se révèle tout à fait respectueuse des faits et des pratiques de gougnafiers dont toute cette clique, de Cheney à Rumsfeld, est comptable. Apprentis-sorciers de la constitution, malaxant les institutions dans le sens de leurs intérêts, puis gouvernant par procuration à la place d'un "béni-oui-oui" trop content de s'affirmer contre son géniteur (lui-même ancien président), cette épouvantable séquence historique s'avère une farce tragique, pouvant donc être traitée comme une comédie dramatique. Au reste, ne constitue-t-elle pas les prolégomènes du cirque actuel dont le prince est un clown ?
Caméléon de service, Christian Bale retrouve McKay (comme d'ailleurs la quasi intégralité de la distribution de The Big Short, précédent film du réalisateur) pour habiter ce personnage peu loquace mais d'une certaine manière plus dangereux que celui d'American Psycho. Dire qu'il est excellent tient de l'euphémisme. Hélas pour lui, comme toujours, il risque d'être vice-oscarisé...
Vice
de Adam McKay (ÉU, 2h12) avec Christian Bale, Amy Adams, Steve Carell...