Chanteur performeur du groupe Oxbow, castagneur de première et journaliste et écrivain accompli, l'Américain Eugene S. Robinson se produira ce mercredi au centre d'art OUI, à l'invitation de l'association La Niche. Portrait d'une personnalité peu commune. Damien Grimbert
On avait découvert Eugene S. Robinson il y a environ dix ans de cela, par hasard ou presque, lors d'un concert de son groupe Oxbow au festival de Dour en Belgique. Et c'est peu de dire que sa performance avait fait forte impression : 110 kilos de muscles et de testostérone portés à ébullition par une présence animale, à la fois hypersexuée et menaçante. Suant, éructant et bavant sur scène, une main ostensiblement plongée dans le slip et l'autre martyrisant le micro, l'homme semblait plongé dans un état de transe primal, prêt à réduire en pièces le premier fort en gueule qui voudrait se frotter à lui. Ce qu'il lui est d'ailleurs déjà arrivé de faire à d'innombrables reprises, l'homme affichant – on l'a découvert par la suite – un penchant affirmé pour la violence mutuelle entre adultes consentants. Ce statut de monstre de foire, incontrôlable et dégénéré, Eugene S. Robinson en joue volontiers. Et l'assume avec l'absence de complexes totale de celui qui a plus d'une corde à son arc. Car au-delà de l'aura bestiale qu'il dégage sur scène, Robinson, c'est avant tout 30 ans de carrière au sein de l'avant-garde musicale new-yorkaise et californienne, la publication de nombreux articles pour des magazines comme Vice, The Wire, Hustler, GQ, EQ et Code, et deux livres de haute volée à son actif.
La musique n'adoucit pas les moeurs
Né en 1962, Eugene S Robinson grandit dans le New York sauvage et débridé des années 70. Les vétérans du Vietnam errent désoeuvrés dans les rues comme autant de Travis Bickle (du film Taxi Driver) en puissance, le trafic d'héroïne et la violence urbaine sont à leur apogée. Eugene, lui, est comme un poisson dans l'eau, zigzaguant entre les bancs de musculation, les bagarres de rue, les débuts de la scène punk (qu'il est alors un des seuls noirs à fréquenter), quelques jobs de videur et plus curieusement l'enceinte du Studio 54, mythique club disco de l'époque dans lequel il donne des cours de danse. Au début des années 80, il fait ses débuts dans la musique au sein du groupe hardcore Whipping Boy, crée un fanzine de contre-culture devenu culte (The Birth of Tragedy), et découvre les débuts de la scène No Wave new-yorkaise où officient Lydia Lunch, The Swans et consorts (avec lesquels il collaborera plus d'une fois par la suite). C'est pourtant en déménageant à San Francisco quelques années plus tard que sa carrière musicale va prendre son envol. Après une brève apparition sur l'album Frankenchrist des Dead Kennedys en 1985, il rejoint le groupe Oxbow, combo art rock oscillant entre noise, blues, free jazz et expérimentations diverses dont il devient le chanteur et frontman attitré jusqu'à nos jours. Non content d'imposer une présence vocale peu courante, plus proche des cris et des geignements d'un animal blessé que d'un chant en bonne et due forme, Robinson va également se créer un personnage de scène aussi charismatique qu'inquiétant, quelque part entre le Marv de Sin City et le Tyler Durden de Fight Club. Bien que confidentiel (il faut dire que le choix de titres d'albums tels que Fuckfest, Balls in the Great Meat Grinder, ou encore King of The Jews – avec une photo de Sammy Davis Jr. hilare sur la pochette – n'aide pas outre mesure), le succès du groupe est suffisant pour enchaîner les tournées et les opus discographiques.
L'écriture non plus
Ponctué de collaborations musicales diverses, de bagarres violentes sur et en dehors de la scène, et de parutions régulières dans la presse écrite, le parcours de Robinson va connaître une nouvelle étape en 2007 avec la parution d'un premier livre consacré à sa passion de toujours : le combat à main nues. Succès d'édition inattendu (mais toujours inédit en France), Fight : Everything You Ever Wanted to Know About Ass-Kicking but Were Afraid You'd Get Your Ass Kicked for Asking va lui permettre d'enchaîner sur un nouvel ouvrage deux ans plus tard, A Long Slow Screw. Récemment paru en France chez l'éditeur Inculte sous le titre Paternostra, cet excellent roman noir dans lequel un couple fauché se retrouve confronté à un terrifiant éventail d'enflures en tentant d'écouler des diamants volés est avant tout l'occasion pour lui d'évoquer le New York dantesque et déliquescent de son adolescence, disparu corps et biens sous le mandat sécuritaire du maire Rudolph Giuliani au cours des années 90. C'est d'ailleurs autour de textes de ce livre que sera articulé son concert/performance de mercredi accompagné de musiciens grenoblois, qui sera précédé de la projection du documentaire The Luxury of Empire de Marie XXme. Réalisée pendant la tournée européenne du groupe en 2009, cette plongée intimiste dans l'univers artistique des membres d'Oxbow, précédée d'une très bonne réputation, s'annonce comme un excellent moyen d'en apprendre plus sur une formation qui, après plus de vingt ans d'existence, ne s'est toujours pas départie de l'aura de mystère qui l'entoure.