À la rencontre de l'autre

Danse / Danseuses et chorégraphes, Myriam Lefkowitz et Catalina Insignares viennent de passer trois semaines en résidence à Grenoble à l’invitation du Pacifique, centre de développement chorégraphique national. Elles ont travaillé avec des migrants autour de la Facultad, un ensemble de propositions artistiques qu’elles ont élaboré. Leur démarche : placer l’attention à l’autre au cœur de la création.

Pour elles, la danse ne se limite pas à une pratique artistique sur scène. Myriam Lefkowitz s’interroge sur les questions d’attention et de perception et travaille notamment sur des dispositifs immersifs, pour favoriser la relation directe entre les spectateurs et les interprètes. Catalina Insignares, elle aussi, aime questionner la relation des artistes à la société. La permanence qu’elles viennent d’organiser dans un appartement du quartier de l’Abbaye, à Grenoble, les a placées en contact direct avec plusieurs dizaines de personnes exilées, ainsi qu’avec d’autres, issues du monde associatif, qui les accompagnent, les écoutent et les soutiennent. L’idée : expérimenter des pratiques qui, par nature, nécessitent la mise en place d’une relation à l’autre. Marches urbaines les yeux fermés, danse de mains, dialogues basés sur l’imaginaire et les ressentis… un ensemble de démarches mis au service de la rencontre, sans intention d’en tirer un spectacle.

« Déségrégation »

Cette résidence à Grenoble était également, pour les deux jeunes femmes, une expérience personnelle. « Une première, raconte Myriam. Les rencontres avec les autres ne sont pas toujours faciles. On a fait face à des personnes qui, par exemple, passeraient difficilement la porte du Pacifique. » Catalina parle de déségrégation : « Les gens vers lesquels nous nous tournons font partie du dispositif. La Facultad est un peu une sorte d’école que l’on met en place, tous ensemble. C’est important qu’elle puisse prendre diverses formes et ne soit pas qu’un geste poétique, thérapeutique ou politique. Ces personnes nous apprennent aussi ce que peut être une relation à l’autre, y compris aux absents, mais l’intimité de chacun est respectée. » Elle l’est d’autant plus quand, en face, les personnes participantes vivent une situation de souffrance. « Pour elles, la question de l’expression artistique n’est pas du tout évidente, souligne Myriam. On fait appel à leur imagination, mais on leur explique que nous ne sommes pas chamanes ou sorcières, en train d’activer des choses irréelles avec des pouvoirs. »

« Entre-deux »

La Facultad s’étant déroulée dans un lieu neutre, dépourvu de toute dimension culturelle, Catalina se dit très satisfaite : « Nous ne voulions ni un endroit qui soit déjà une institution artistique, ni un lieu d’accueil pour les personnes auxquelles nous nous sommes adressées. L’idée était de rester dans un entre-deux. » Son seul petit regret : ne pas avoir pu présenter leur démarche lors d’ateliers grand public au Pacifique, la situation sanitaire obligeant le centre de développement chorégraphique à renoncer à cette partie du programme initialement prévu. Elle est très heureuse en revanche d’avoir pu travailler avec des migrants : « D’abord, si l’on ne veut pas que nos pratiques s’adressent toujours aux mêmes, il faut tendre la main un peu plus et avoir ce geste d’invitation radicale. Ensuite, on constate que ces personnes ont déjà leurs propres outils imaginaires et sensoriels pour supporter la distance et communiquer avec les leurs. Elles ont dès lors beaucoup à nous apprendre ! »

Myriam insiste sur un point : « Celles et ceux qui poussent la porte de la Facultad sont contents, curieux ou intrigués à l’idée de nous rencontrer. Ils ne viennent pas parce qu’ils ressentent un besoin du fait qu’ils sont migrants. Ce que l’on fait ensemble peut avoir un effet de soin ou d’aide, mais il y a d’abord un désir commun de s’interroger sur ce qui se joue quand on n’utilise pas nos sensations, nos mémoires ou nos corps de la même manière que d’habitude. » La Facultad va désormais poursuivre son chemin hors de Grenoble et devrait être accueillie par Bétonsalon, un centre d’art et de recherche parisien, pendant toute une année. On en reparlera peut-être.

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