Une, deux représentations, trois grand maximum et puis s'en va. Comment se fait-il que les spectacles de danse restent aussi peu longtemps à l'affiche contrairement au théâtre ? Le phénomène est national, comme l'a démontré une grande enquête publiée mi-octobre, mais est d'autant plus accentué dans une agglomération de la taille de Grenoble. Même si des solutions sont apportées. Explications.
« En moyenne, un lieu de diffusion propose entre 2 et 2.3 représentations par an d'un même spectacle [de danse] » révèle une étude sur la diffusion de la danse lancée en 2016 par l'Office national de diffusion artistique et dont les résultats sont sortis mi-octobre. C'est peu. Grenoble ne fait pas exception puisque les pièces chorégraphiques restent à l'affiche un, deux, voire trois soirs maximum. Des chiffres qui incitent à se poser des questions quand on sait qu'au niveau national (et parfois à Grenoble, souvent à la MC2), une pièce de théâtre peut, elle, être jouée plusieurs semaines dans une même salle.
Une première explication face à ce constat est apportée par Marie Roche, directrice du Pacifique, centre de développement chorégraphique national basé dans le quartier des Alliés à Grenoble. « La danse contemporaine est apparue dans les années 1980, donc plus tardivement que le théâtre qui avait déjà pris le public et le "marché". Il y a un effet de retard et les habitudes sont difficiles à changer. » Un retard qui a entraîné un écart non seulement dans la diffusion des pièces mais aussi au niveau du budget et des salaires. « C'est un peu le même combat que l'égalité femmes/hommes, constate le chorégraphe grenoblois Jean-Claude Gallotta, ex-directeur du Centre chorégraphique national de Grenoble. Les chorégraphes n'avaient pas de droits d'auteur. J'ai dû me battre pour être considéré comme un auteur et le combat continue encore aujourd'hui pour les salaires et le budget ! »
« Reprendre contact avec le public »
Ce dernier point est d'ailleurs l'un des freins majeurs à la diffusion de la danse à la Rampe, scène conventionnée danse et musiques à Échirolles, comme nous l'a expliqué sa directrice Joséfa Gallardo. « Nous ne proposons pas de séries pour des raisons économiques. Notre rôle n'est pas seulement de diffuser mais aussi d'aider les artistes en création et de développer des actions sur le territoire. Tout cela a un coût. Nous n'aurions pas les moyens de faire notre travail si nous proposions des séries. »
Car pour pouvoir engranger des recettes, une salle doit être remplie. « C'est le but des directeurs analyse Jean-Claude Gallotta. Ils sont sommés de faire du remplissage donc, dans le cas de la danse contemporaine, ils préfèrent faire court et rempli, c'est-à-dire ne pas faire de séries. » Une situation que déplore Youtci Erdos de la compagnie grenobloise Scalène, pour qui « le manque de représentations ne permet pas aux pièces de maturer. Une pièce a besoin de vivre pour trouver son rythme ». Une difficulté davantage prononcée à Grenoble en raison de la taille de l'auditoire. « Le public de la danse n'est pas si grand que cela à Grenoble donc si nous jouons à la Rampe, par exemple, nous n'allons pas rejouer la même pièce à Saint-Martin-d'Hères, c'est trop proche géographiquement. Il y a donc une nécessité d'élargir le public, de reprendre contact avec lui. »
« Des séries aussi longues qu'à Lyon ou Paris »
Des actions ont ainsi été mises en œuvre pour sensibiliser les profanes comme il existe « une méconnaissance du public envers la danse contemporaine qui entraîne une certaine frilosité » estime Youtci Erdos. Seul le ballet tire son épingle du jeu. « Le mot "ballet" remplit tout de suite une salle, remarque Jean-Claude Gallotta. Ça rassure. Les spectateurs savent que ce sera beau et distrayant et c'est comme ça qu'ils imaginent la danse. » Car, selon Youtci Erdos, « le public a envie de savoir ce qu'il va voir ».
Ces actions mises en place, ce sont des ateliers, des rencontres avec le public, des master class... « Un travail accumulé depuis des années avec les acteurs culturels grenoblois qui a permis de faire du public de la danse le deuxième en volume derrière celui du théâtre, assure Jean-Paul Angot, le directeur de la MC2, scène nationale pluridisciplinaire. Ça et la présence de Gallotta ont permis de développer l'histoire de la danse à Grenoble. Aujourd'hui, nous proposons trois représentations par spectacle, soit des séries aussi longues qu'à Lyon ou Paris. »
Joséfa Gallardo insiste également sur ce travail collaboratif avec les partenaires locaux afin « de construire des tournées et ainsi faire circuler la danse » (le concours [re]connaissance, appelé maintenant Podium et qui aura lieu fin novembre à la Rampe, participe de cette ambition). Tandis que Youtci Erdos, avec sa compagnie, mise sur des représentations dans des lieux atypiques, comme des boutiques, pour « plus de proximité encore et attirer un public nouveau ». Avec le même objectif pour tous : rendre plus visible la danse contemporaine.