Politique culturelle / Si la MC2 Grenoble met en avant cette saison une programmation paritaire en théâtre et en danse (avec donc autant de femmes que d'hommes à la tête des spectacles), beaucoup trop de théâtres et de salles de concert de l'agglo sont encore loin de parvenir à cette égalité. Après avoir fait les comptes, on a tenté de voir comment cela pourrait changer (car cela doit changer) en compagnie d'une membre de l'association H/F Auvergne-Rhône-Alpes.
En juin dernier, lors du dévoilement à la presse de sa nouvelle saison, le directeur de la MC2 Jean-Paul Angot s'est félicité de proposer autant de spectacles de théâtre et de danse montés par des hommes que par des femmes. Ce que la lecture de la plaquette de sa programmation 2017/2018 nous confirme – en danse par exemple, Jean-Claude Gallotta et Wim Vandekeybus côtoient Maguy Martin et Anne Teresa De Keersmaeker. On a donc retrouvé Jean-Paul Angot il y a quelques jours dans son bureau pour en savoir plus sur ce choix.
« Quand on est à la tête d'une institution comme la MC2, on doit montrer l'exemple. Je m'impose quelque chose que tout le monde devrait normalement faire. On est en retard sur ces questions qui sont en train d'exploser, à savoir la place que l'on accorde à la moitié de l'humanité. »
Une décision qui, il l'assure, n'élude pas la qualité artistique (« bien sûr, les projets sont choisis en fonction du talent de l'artiste et non de son sexe ») et qui, il l'assure encore, pose surtout des jalons pour le futur. « Au bout d'un certain temps, il faudra qu'on n'en parle même plus, que ça soit une évidence. Mais pendant un petit moment, il faudra s'appliquer cette règle d'égalité pour qu'elle devienne un état de fait. »
Le compte est mauvais
On en est encore loin aujourd'hui. Car quand on dissèque les plaquettes des autres théâtres et salles de concert de l'agglo, le nombre de propositions artistiques portées par des femmes fluctue entre misère (les doigts d'une main suffisent parfois à les compter) et présence remarquée mais pas encore aussi numériquement forte que celle des hommes.
Par exemple, sur les vingt-sept spectacles à l'affiche cette saison de l'Hexagone de Meylan (l'autre scène nationale de la région, avec la MC2), on en trouve seulement cinq où le metteur en scène est une metteuse en scène. Une dissymétrie présente également dans beaucoup de petits théâtres de l'agglo. Du côté des élèves un peu meilleurs, il y a par exemple la Rampe d'Échirolles, le Théâtre municipal de Grenoble ou encore l'Heure bleue de Saint-Martin-d'Hères, même si on se limite tout de même aux environs d'un tiers de femmes aux commandes...
Quand on part du côté des salles exclusivement orientées musique, la disproportion est encore plus vertigineuse : sur le site de la Belle électrique qui dévoile ses dates au fil de l'eau, seulement quatre femmes ou groupes féminins sont annoncés (Camille, Miss Kittin, Ibeyi et Brigitte) sur une vingtaine de concerts. Et la Source de Fontaine et la Bobine ne font proportionnellement pas mieux... Comme la MC2 d'ailleurs sur ce terrain, Jean-Paul Angot n'étant pas arrivé à construire une saison musique classique paritaire – « il y a malheureusement très peu de femmes cheffes d'orchestre ».
Alors Grenoble mauvaise élève ? Ni plus ni moins que le reste de la France, cette réalité locale étant en adéquation avec la nationale comme le démontre la SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques) depuis 2012 dans sa « brochure-état des lieux sur la place des femmes dans les professions culturelles » dont sont tirés les graphiques illustrant cet article.
« Mettre en place des objectifs chiffrés »
Pourtant, quand on interroge informellement les directeurs et les directrices de salle de l'agglo, ils se disent sensibles à ces questions. « Dans les discours, tout le monde est favorable à l'égalité, mais ça passe rarement dans les actes » nous explique Valentine Brune de H/F Auvergne-Rhône-Alpes, association qui « réclame l'égalité réelle entre femmes et hommes aux postes de responsabilité, dans l'attribution des subventions, dans les programmations, dans les instances de décisions et de nominations » (extrait de leur site web).
Une association née au niveau national suite à la publication en mai 2006 d'un rapport commandé par le Ministère de la culture à Reine Prat. Valentine Brune : « Ce rapport est venu comme un pavé dans la mare montrer un secteur qui se croyait irréprochable alors qu'il est finalement comme les autres. » En a découlé un travail de sensibilisation effectué par les membres de l'association. « La réponse classique quand on interroge les programmateurs c'est : oui des femmes, je veux bien en programmer mais il n'y en a pas. Ou : je ne vais pas faire ma programmation en me préoccupant du sexe des artistes, pour moi la création n'a pas de sexe. Ou encore, même si ce n'est jamais dit aussi clairement : oui il y en a, mais bon, elles sont quand même moins bonnes. C'est démoralisant. »
Après dix années de bataille et « peu de changements », H/F veut aujourd'hui « agir d'un point de vue politique ».
« Nous défendons très fortement des idées comme l'éga-conditionnalité, c'est-à-dire conditionner l'attribution de subventions à la parité. C'est une idée assez décriée, mais on est pas mal à penser à H/F que c'est le seul moyen pour faire bouger les choses. »
Une idée que préconise aussi la SACD (« mettre en place des objectifs chiffrés dans la politique de réduction des inégalités : + 5% de femmes par an dans les programmations de spectacle vivant pendant 3 ans ») qui risque pourtant de crisper beaucoup de monde dans un pays où la question des quotas est très sensible.
« Un rapport de domination masculine très ancré »
Pour H/F, c'est donc au politique (et, par ricochet, à la société) de prendre le problème à bras le corps. Surtout que cette question de la parité sur les scènes en soulève de nombreuses autres.
« On est dans un modèle de société avec un rapport de domination masculine très ancré. Et c'est partout ! Avec H/F, on travaille dans le secteur culturel, mais le constat peut être fait dans plein d'autres secteurs. »
Rien que dans le domaine de la culture, il y aurait encore beaucoup à dire. En faisant par exemple un décompte dans un champ où l'absence de parité saute moins aux yeux (comme on n'a pas les artistes sur scène en face de nous) mais est pourtant tout autant présente dans les grandes institutions : celui des arts plastiques. Ainsi, exceptée une saison avec Georgia O'Keeffe et Cristina Iglesias, les expositions temporaires du Musée de Grenoble ne sont quasiment que masculines.
En regardant aussi qui dirige quelle institution culturelle. Valentine Brune explique qu'il y a « des femmes directrices dans des salles où il y a des petits budgets. Mais dès que les budgets commencent à devenir importants, ce sont des hommes qui dirigent la salle » ; ce qui est criant à Grenoble et dans l'agglo – même si plusieurs nominations récentes (Béatrice Josse au Magasin des horizons, Peggy Zejgman-Lecarme à la Cinémathèque, Marie Roche au Pacifique...) montrent que les choses commencent à bouger.
Ou, dernier exemple pour cet article qui aurait pu être encore beaucoup plus long tant il y a à écrire, comme il faut aussi balayer devant sa porte (même si la direction de la publication depuis les débuts est tenue par une femme – Magali Paliard), en regardant le nombre de rédactrice en chef que le PB Grenoble a connu en 24 ans d'existence : zéro sur cinq.