Stochastic Releases cultive sa différence à Grenoble

Label / Récemment enrichi de trois nouvelles sorties, le label grenoblois Stochastic Releases accueille depuis quinze ans divers projets musicaux pointus aux esthétiques musicales radicalement différentes, que seule réunit la sensibilité artistique de son fondateur Nicolas Murer. Zoom sur un label aussi confidentiel que passionnant.

Ces derniers mois, trois nouvelles références sont venues s’ajouter au catalogue Stochastic : un album vinyle, The Tan Side Of Lonesome de l’Américain Tan, composé de reprises synthétiques de morceaux country des années 80 et 90 à la sauce italo-disco et Hi-NRG, ainsi que deux cassettes audio. La première, Ludwig de Spor Tranquil (l’un des nombreux alias du fondateur du label Nicolas Murer), prend la forme d’une bande-son pour un jeu vidéo fictif, qui serait sorti à la fin des années 80. La seconde, Work in Progress du Grenoblois Thierry Monnier, associe « une approche contemplative du rock’n’roll et de la distorsion à la tradition avant-gardiste du minimalisme et de la répétition ». Un aperçu somme toute assez représentatif du fabuleux cabinet de curiosités que constitue la petite quarantaine de sorties du label, au sein duquel techno, italo-disco, synth-pop, noise-rock, drone et bandes-son expérimentales planantes se croisent et se succèdent sans trop se soucier des conventions.

Incohérence revendiquée

Cette identité musicale disparate, qui fait tout l’intérêt de Stochastic Releases, se reflète également dans de nombreux autres aspects : qu’elles soient sophistiquées ou brutes de décoffrage, les pochettes des sorties ont ainsi en commun une totale absence de cohérence graphique et affichent crânement un dédain complet pour les canons esthétiques en vogue. Relayées sur les réseaux sociaux, ainsi que la newsletter du label, les sorties ne bénéficient que d’une promotion minimale et ne souscrivent pas aux codes du storytelling habituellement en vigueur, qui consiste à raconter une belle histoire aguicheuse pour donner envie d’écouter l’album d’un artiste. La distribution du label, enfin, se limite essentiellement à la vente par correspondance et à quelques magasins de disques dans lesquels Nicolas Murer se rend occasionnellement, ainsi qu’à la page bandcamp du label, sur laquelle il est possible d’acheter également la version numérique des albums.

Cette approche a minima, basée à la fois sur un manque d’intérêt avoué pour la commercialisation et le marketing et une volonté politique de laisser la musique s’exprimer par elle-même, libérée de tout artifice, n’est évidemment pas sans conséquence sur le nombre d’exemplaires écoulés de chaque sortie (la plupart du temps très faible) et sur les finances du label (perpétuellement dans le rouge). On aurait tort pour autant d’y voir une quelconque trace de "je-m’en-foutisme", tant la passion de Nicolas pour chacun des projets qu’il sort est sensible et se couple à un soin du détail et une minutie de tous les instants ou presque. Car c’est avant tout – et aussi rebattu le terme puisse-t-il paraître – une véritable aventure humaine que recèle chaque sortie estampillée Stochastic : au sein de son catalogue ne figurent ainsi que les propres productions sous différents pseudos (Macon, Mulan Serrico, Spor Tranquil, Maurer…) de son fondateur, celles d’amis de longue date ou encore des œuvres collaboratives auxquelles il a participé.

Pour bien comprendre la philosophie du label, il est ainsi nécessaire de comprendre son cheminement. Démarré en 2008 sous la forme d’un label dédié au format K7 et aux esthétiques noise, drone et expérimentales, Stochastic s’inspire à ses débuts de l’effervescence punk de la scène noise locale de la ville de Colombus en Ohio, dans laquelle réside alors Nicolas Murer. C’est là que vont se forger les bases du label au gré d’une première flopée de sorties : esprit do it yourself, sorties limitées à un cercle réduit d’amis proches, et refus de toute forme de compromission. Au début des années 2010, le rapatriement du label à Grenoble s’accompagne progressivement d’une évolution vers d’autres sphères musicales : ne retrouvant pas l’émulation et l’énergie qu’il avait ressenties au sein de la scène de Colombus, Nicolas s’immerge de manière croissante, par le biais de son cercle de fréquentations, dans la culture club et les musiques électroniques, auxquelles il s’initie en quelques années.

Cassette régressive

Une nouvelle étape s’ouvre alors pour Stochastic, qui va voir le label intégrer des artistes électroniques grenoblois (Denis Morin, Binary Digit, ou encore Léonard Lampion au sein du duo collaboratif Peep Night) et son fondateur se focaliser avant tout au travers de ses projets personnels sur la production de musiques électroniques. Une évolution esthétique qui va s’accompagner d’une accélération des sorties vinyle, un format plus approprié dans ce contexte… mais également nettement plus onéreux à produire. C’est enfin en 2019 que va s’ouvrir la dernière page de l’histoire du label : découragé par les faibles ventes des dernières sorties et par le montant des frais engagés, Stochastic Releases décide de se recentrer massivement sur le format cassette, plus économique, limitant ses sorties au format vinyle à quelques rares projets bien précis. Une forme de « régression » pour reprendre les termes de Nicolas, qu’il convient toutefois de relativiser : en matière de diversité artistique, le label ne cesse au contraire de s’épanouir année après année.

Stochastic Releases en cinq sorties

Gueule ouverte – S/T (2012) : Un album 100% punk enregistré en quelques jours à Montréal par Régis Victor et Nicolas Murer. Première sortie vinyle du label, c’est également l’album qui s’est le mieux vendu de tout le catalogue.

Tan – Musik City (2016) : Collaborateur de longue date du label, l’Américain Nathan Snell dévoile ici sa passion sans fin pour les sonorités mélancoliques de l’italo-disco, de la Hi-NRG et de la synth-pop

Binary Digit – 38000 Summer Hits (2018) : Une superbe compilation de morceaux entre techno, acid, et IDM de l’artiste électronique grenoblois Binary Digit, initialement sortis sur une cassette autoproduite.

Jack Nicklaus Tribute Band – Nina Caprez (2018) : Une autre collaboration entre Régis Victor et Nicolas Murer mais dans un registre radicalement différent de Gueule Ouverte : une sorte de synth-pop fragile, abstraite et méditative assez unique en son genre

Nicolas Murer – Beyond The Land of Minimal Possessions (2020) : Une bande-son synthétique lugubre et minimaliste, composée pour le film éponyme de Lili Reynaud-Dewar. C’est également la référence du label qui s’est le moins vendu (pour l’instant)

https://stochasticreleases.bandcamp.com

http://stochasticreleases.free.fr

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