Attaque en règle contre la culture

Politique culturelle / Mercredi 25 mai, la région Auvergne-Rhône-Alpes devrait acter en commission permanente la répartition des subventions aux structures culturelles pour 2022. Le président Wauquiez a sévèrement coupé dans les budgets de nombreuses structures, principalement à Lyon et à Grenoble. Dans notre département, 25 établissements sont visés et sont stupéfaits par le fond autant que par la forme. 

Ce sont 3, 7 millions d’euros repris par la région AURA en 2022 sur les subventions culturelles, dont 660 400 euros pour le département de l’Isère, majoritairement à Grenoble. Les structures concernées s’attendaient pour la plupart à une diminution, mais pas si soudaine, pas si importante et – pourquoi pas – concertée voire annoncée aux intéressés, conformément à la bienséance. Le tableau de la répartition des subventions de cette année a été discuté vendredi 20 mai en commission culture à l’hôtel de Région, et doit être acté mercredi 25 mai en commission permanente.

« C’est une attaque en règle contre la culture », tranche Arnaud Meunier, directeur de la MC2, qui voit la subvention régionale amputée de 120 000 euros (passant de 470 000 à 350 000 euros). « C’est nous mettre en grande difficulté. Ça représente un tiers de la programmation de cet automne, ou alors trois emplois permanents. » Certaines structures voient carrément leur subvention supprimée : Arc Nucléart, le laboratoire qui a sauvé la momie de Ramsès II (on vous en parlait dans le dernier numéro du PB), passe de 75 000 euros de dotation régionale à zéro. Même traitement pour les Musiciens du Louvre, de 100 000 euros à zéro. L’orchestre de Marc Minkowski ne souhaite pas commenter. Présidé depuis décembre par l'ancien Premier ministre socialiste Bernard Cazeneuve, il avait déjà subi une coupe sévère de la part de la ville de Grenoble à l'arrivée d’Éric Piolle, en 2014 : le maire avait assumé supprimer la dotation de 438 000 euros de la municipalité.

Belle Électrique, Hexagone, Arts du Récit… 

La Belle Électrique perd 30 000 euros (plus de 55% de moins par rapport à 2021), la Rampe et l’Hexagone, deux scènes nationales, chacune 25 000 euros (respectivement moins 22% et 20%). Le CDCN Le Pacifique se voit amputé de 32% de sa subvention. « On voyait les nouvelles arriver par vagues, et notre conseillère à la Région nous avait prévenus qu’on aurait une baisse, mais c’est très violent », indique la directrice du centre de développement chorégraphique, Marie Roche. Elle n’imaginait pas l’ampleur de la coupe : 22 000 euros, sur un budget annuel total de 650 000 à 750 000, c’est un gros trou. « C’est un massacre. » Elle soupire : « Dans nos structures, nous avons tous le sentiment d’une mission de service public… »

Les Arts du Récit, qui achèvent à peine la 35e édition du festival éponyme, se voient amputés de 20 000 euros, soit 28, 5% de leur enveloppe de l’an dernier. L’Espace 600, le théâtre de la Villeneuve fraîchement labellisé par l’État, passe de 60 000 à 50 000 euros de subvention. Le festival des Détours de Babel est très impacté, avec une enveloppe qui dégringole de 120 000 à 60 000 euros d’une année à l’autre. « Je trouve ça très violent, incompréhensible et ingérable », tranche Benoît Thiebergien. « On s’attendait à une baisse, on nous avait parlé de 7% de moins environ, donc on l’avait intégrée dans le budget. » Finalement, elle serait donc de 50%...

« On assiste à une dégressivité progressive du soutien de la Région. Cette année, cela prend une autre dimension. » 

Toujours à Grenoble, l’Observatoire des politiques culturelles (OPC) fait partie des plus touchés avec 40% de diminution de sa subvention, soit 60 000 euros de moins qu’en 2021. « Il faut bien souligner que c’est la troisième baisse successive depuis 2016, soit 125 000 euros de diminution au total », note Vincent Guillon, co-directeur de cet organisme d’envergure nationale. « On assiste à une dégressivité progressive du soutien de la Région. Cette année, cela prend une autre dimension. »

L’équilibre de ces établissements inquiète, tout comme l’effet boule de neige sur tous ceux qui gravitent autour. Au Pacifique, Marie Roche « espère que les compagnies seront préservées. C’est tout un écosystème qui est touché. » Vincent Guillon s’inquiète du ricochet sur le budget de l’OPC, qui fonctionne avec 50% de fonds propres et 50% de fonds publics, principalement étatiques. « Les conséquences budgétaires sont doubles pour nous, car moins de subventions, c’est moins de capacité à produire nos recettes propres. » « On nous demande d’être de bons gestionnaires, mais je ne vois pas comment on va faire », déplore Benoît Thiebergien. « On aura un déficit en fin d’année, car on ne souhaite pas déprogrammer et faire peser ça sur les artistes. 60 000 euros de baisse, ce n’est pas récupérable. Je ne sais pas comment on va faire pour le moment. Cela nous fragilise. Et cette baisse en 2022, elle va continuer en 2023, alors que 80% de la programmation est bouclée… »

La méthode choque. Tous ont plus ou moins appris ces coupes dans Le Dauphiné Libéré ou le Petit Bulletin. « Notre surprise est d’autant plus grande que cette annonce fait suite à un rendez-vous très positif avec trois vice-présidentes de la Région », soupire Vincent Guillon. « Ce manque de transparence est inquiétant, on est tous sidérés de la façon dont c’est fait », admet Marie Roche. « Comment interpréter que les Détours de Babel perdent 50 % ? Est-ce le projet qui ne leur plaît pas ? Nous n’avons aucun élément », se questionne Benoît Thiebergien. Après avoir appris la nouvelle dans la presse, début mai, Arnaud Meunier reste sidéré « par la méthode. Nous avons ensuite reçu un courrier officiel, mais nous n’avons eu aucune réponse à nos nombreuses demandes de rendez-vous. Des représentants de la Région siègent au conseil d’administration de la MC2 ; eux-mêmes n’étaient pas informés… » Le directeur de la MC2 déplore la méconnaissance du travail de sa maison envers les territoires ruraux et au côté de compagnies locales et confie un sentiment de « mépris ».

Un secteur toujours fragile

Ces coupes interviennent dans un secteur qui reste très fragilisé par la crise sanitaire. Si nous avons oublié avec plaisir la litanie des chiffres de la réanimation, le masque sur le nez obligatoire ou les files d’attente de contrôle du passe sanitaire, la fréquentation dans les lieux de culture reste très impactée, le public ayant visiblement changé ses habitudes. Par ailleurs, en plein mois de mai, les structures ont déjà conçu leur programmation et leur budget, sans avoir pu anticiper ces manques. Pour certaines, comme les Arts du Récit ou Détours de Babel, le temps fort de l’année est même déjà passé. Donc la plupart vont devoir creuser leur déficit…

Mais quelle est la justification ou la logique de ces baisses brutales des dotations ? La Région, par la voix de sa vice-présidente culture Sophie Rotkopf, avait annoncé au Progrès, fin avril, un « rééquilibrage » : moins pour les grandes villes afin de donner plus au milieu rural. Mais au vu des tableaux que nous avons consultés, le milieu rural n’y gagne rien pour le moment.

Des événements qui font vivre et rayonner ces territoires sont aussi touchés : c’est le cas de Vercors en Scène (moins 2250 euros), du festival Berlioz à La Côte-Saint-André (moins 22500 euros), de Messiaen au pays de la Meije (moins 4500 euros), le festival Mens Alors ! (moins 1200 euros), les Nouvelles rencontres de Brangues (moins 2250 euros) ou encore Textes en l’air à Saint-Antoine-l’Abbaye (moins 3150 euros). À la lecture de notre article en ligne jeudi dernier, Marc Chonier, co-directeur artistique du festival Mens Alors !, nous appelle, interdit. Son festival n’aura que 6800 euros d’aide de la Région, contre 8000 habituellement. « Notre festival a un budget de 100 000 euros. On est tous bénévoles, sauf les techniciens et les artistes que l’on tient à rémunérer. On avait demandé 10 000 euros à la Région cette année, pour pouvoir augmenter leurs cachets… Je ne comprends pas comment peut être justifiée cette décision. 1200 euros de moins, cela ne paraît rien, mais ça bouleverse notre budget. C’est un concert en moins. »

Mettre fin aux rentes

Contacté, le cabinet du président de la Région nous a indiqué jeudi 19 mai qu’il « ne s’agit pas de porter un jugement de valeur sur les actions qui sont aujourd’hui menées, mais de passer d’un financement de la rente, sans aucune marge de manœuvre, à un financement de projets. Il n’y a pas de rentes. Il y a des projets. C’est la raison pour laquelle il sera proposé un dispositif basé sur des appels à projets à rayonnement régional. Le rééquilibrage s’opérera en fonction des actions qui seront effectivement proposées dans les territoires. »

« Mais pour faire des appels à projets, il faut un fonctionnement solide. Or en ce qui nous concerne, la subvention de la Région sert à notre fonctionnement », rétorque Marie Roche, du Pacifique. « Je rappelle qu’on est tous toujours très impactés par la crise du Covid. Cette baisse intervient au moment où le spectacle vivant est le plus fragilisé », souligne Arnaud Meunier, qui évoque aussi la guerre en Ukraine et ses conséquences sur le prix de l’énergie : « Pour un bâtiment comme la MC2, le surcoût est énorme. »

L’incompréhension domine. De fait, à la lecture du tableau des subventions, dans l’ensemble des départements d’AURA, on ne comprend pas bien la ligne directrice du président de Région, qui a vraisemblablement tranché lui-même en (dé)faveur des uns ou des autres. Libération affirme avoir consulté le tableau des subventions avec en annotations les arbitrages de Laurent Wauquiez (le quotidien note l’intention de supprimer complètement la dotation de la Belle Électrique en 2023).

« Depuis l’arrivée de Laurent Wauquiez à la tête de la région Auvergne-Rhône-Alpes, le budget de la culture a été sanctuarisé. Il n’y a aucune baisse du budget régional de la culture », défend le cabinet du président. S’il affirme un budget culture maintenu à 62 millions d’euros, la part des subventions telle qu’elle est présentée aujourd’hui diminue de 3, 7 millions en 2022, passant de 21 à 17 millions, en gros. À quoi servira la somme dégagée ? Ces fameux appels à projets ? Le fonds "Urgence culture", monté pour soutenir les structures qui souffrent encore du Covid, prioritairement dans les milieux ruraux ? On l’ignore pour l’instant.

Le fait du prince

Grenoble et Lyon sont les plus impactées. D’aucuns y voient une conséquence directe de l’inimitié entre le droitier Wauquiez et les maires EÉLV Éric Piolle et Grégory Doucet. Mais Saint-Étienne, dont on peut supposer que le maire LR, Gaël Perdriau, aurait été plus épargné que les écolos, est aussi touchée, avec 180 000 euros de moins pour la Cité du Design, et 30 000 euros récupérés sur l’école de la Comédie de Saint-Étienne, connue pour son engagement en faveur de la diversité. Dans le Nord-Isère, le théâtre du Vellein, géré par la Communauté d’agglomération Porte de l’Isère (présidée par Jean Papadopulo, de sensibilité de droite), perd 13 000 euros.

Évidemment, on se tourne vers Le Puy-en-Velay, creuset du président de la Région, et Le Chambon-sur-Lignon, également en Haute-Loire, qui fut administré par sa mère Eliane Wauquiez-Motte ; mais là aussi, des coupes, pas de hausse. En même temps, le soutien de 150 000 euros pour Jazz à Vienne est préservé. La dotation de ce festival présidé par le maire Thierry Kovacs, président de la section iséroise des Républicains et proche de Wauquiez, avait été doublée en 2016, de quoi faire grincer quelques dents dans la région. Et surtout, difficile de ne pas penser à deux grosses machines qui ont bénéficié, elles, des largesses de la Région : Tomorrow Land avait obtenu 400 000 euros en 2018, suscitant un tollé ; et cette année c’est le festival lyonnais InVersion qui fait couler de l’encre. Organisé par une filiale de Vivendi, il a obtenu un gros chèque de la Région. Le montant n’a pas pu être confirmé, mais les bruits de couloirs parlent de plusieurs centaines de milliers d’euros, là aussi. C’est beaucoup, pour des festivals déjà bien rentables, et encore plus quand on prétend vouloir défendre les petits campagnards face aux gros métropolitains…  

Gergovie, le Puy du Fou de Wauquiez 

Et puis, il y a ces fameux projets avec lesquels Laurent Wauquiez veut faire rayonner sa région – et la vision qu’il en a. En premier lieu, la création d’un ambitieux centre muséographique et historique de la civilisation gauloise, sur le plateau de Gergovie dans le Puy-de-Dôme. Un grand dessein qui pourrait être à Laurent Wauquiez ce qu’est le Puy du Fou vendéen à Philippe De Villiers, offrant une bien meilleure visibilité politique que le soutien réparti à un réseau dense d’acteurs culturels. 

De façon plus générale, ces derniers temps, Laurent Wauquiez recourt abondamment à l’utilisation de l’argent public de la Région sur des motifs politiques. Avant cette distribution des subventions du 25 mai, il avait sucré 17 000 euros au Street Art Fest de Grenoble pour le sanctionner de la fresque de Goin (avec laquelle ce dernier n’a pourtant rien à voir). Et surtout, l’autorisation du port du burkini dans les piscines de Grenoble a entraîné la suppression de toute aide de la Région à la ville ou ses satellites, soit plusieurs millions d’euros sur différents secteurs (mobilité, santé, transition écologique, etc.).

Bagarre politicienne

Une bagarre politique qui met Wauquiez en avant, sur un positionnement « rempart contre l’islamo-gauchisme et défense de l’identité française », pile poil à l’heure de la recomposition du parti Les Républicains, moribond après les 4, 8% obtenus par Valérie Pécresse à la présidentielle.

Si les élus lyonnais, le maire en premier lieu, sont montés au créneau pour s’indigner de l’attaque au milieu culturel, ceux de Grenoble sont restés discrets. Éric Piolle est plutôt sur le sujet burkini ces temps-ci, dans un conflit frontal avec le même Laurent Wauquiez (entre autres). Et surtout, le premier magistrat de Grenoble n’est pas dans les meilleurs termes avec le milieu culturel, lui qui a également procédé à des coupes budgétaires qui ont notamment touché, elles aussi, les Musiciens du Louvre et la MC2…

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