Vendredi 18 août 2023 Autopsie de la déchirure d’un couple et d’un fait divers sous le regard aveugle de la justice ainsi que d’un enfant malvoyant, Anatomie d’une chute est un film de procès où le son joue un rôle capital. Une bonne raison d’écouter la parole de Justine...
"Sans filtre - Triangle of Sadness" : non mais à l'eau ?
Par Vincent Raymond
Publié Lundi 19 septembre 2022
Photo : Plattform-Produktion
Le film de la quinzaine / En recyclant "Le Bûcher des vanités", "Titanic" et "Sa Majesté des Mouches", Ruben Östlund (re)découvre la vacuité des apparences et la tyrannie du capitalisme. Le triomphe de la bonne morale consensuelle emballée dans une esthétique papier glacé, plus inoffensif que subversif, visiblement en adéquation avec le besoin de purification morale de festivaliers endimanchés sur la Croisette.
Jeunes mannequins très actifs sur les réseaux sociaux, Yaya et Carl sont invités à participer à une croisière de luxe en échange d'une “couverture médiatique“ de leurs vacances. Mais à l'insouciance initiale de leur voyage, vont succéder la panique puis l'horreur lorsqu'une tempête frappe leur yacht, faisant échouer les survivants sur une île déserte. Une nouvelle hiérarchie sociale s'instaure entre passagers et équipage...
La ficelle du concept de Sans filtre est un peu grosse, au point que – le sympathique – Ruben Östlund pourrait placer en épigraphe cet extrait de Molière : « De l'amour sans scandale et du plaisir sans peur » (Tartuffe, acte III, scène 3). Car de scandale, de peur (ou de prise de risque), il n'est point question ici : qui diable trouverait à redire de taper sur la vanité, l'égoïsme, l'avidité, la laideur, l'intempérance, le mensonge, la luxure, en bref, sur tous les péchés capitaux et véniels apparaissant à l'écran – surtout si ce sont de riches privilégiés occidentaux satisfaits d'eux-mêmes qui s'en rendent coupables ? Avec une plaisante complaisance, des puissants sont dépourvus de leurs atours scintillants et des symboles matériels de leur empire terrestre. Longuement étrillés par les éléments, enlaidis pour correspondre à leur intériorité (coucou Dorian Gray), recouverts d'un flot de merde et de vomi, ravalés à leur animalité.
L'intention est politique ? L'effet seulement comique, et bien anodin là où Daumier risquait sa liberté en croquant avec férocité les puissants de son temps ; là où Pasolini faisait frémir en métaphorisant le fascisme ; là où Ferreri tendait à ses spectateurs le miroir déplaisant de leur embourgeoisement durant les Trente glorieuses. Dans cette croisière en forme de parabole – où « les premiers seront les derniers et les derniers seront les premiers » –, Östlund ne dépasse guère le niveau de la punition ou de la pénitence judéo-chrétienne. Le fait que ce soit à nouveau autour d'une table qu'il fasse cristalliser le drame (le naufrage intervient ici après l'avalanche sur la terrasse de Snow Therapy et le happening au banquet de The Square) interroge sur ses rapports avec le cérémoniel de l'alimentation : il y a plus d'ascèse que de plaisir chabrolien au menu du cinéaste.
Spectacle à la gorge
Si son propos manque de cruauté et se dilue, Sans filtre effectue toutefois une mise à jour – ou paraphrase – des constats de Debord : Östlund fixe ici une « Société du spectacle » superlativée agrégeant ceux qui, depuis une trentaine d'années, en sont les promoteurs successifs : super-modèles, candidats/aventuriers de la télé-réalité, influenceurs de réseaux sociaux...
Autant de coquilles vides et de nouveaux opiums dispensés au peuple ; de marchandises humaines à consommer comme spectacle. Autant de diversions abrutissantes qui prolifèrent alors que la culture recule et que l'École n'est plus ce lieu sacralisé dont on sort, d'où que l'on vienne, assuré d'avoir reçu les mêmes bases. De quoi rire jaune, à défaut d'en pleurer ; on conservera les larmes pour les proches de Charlbi Dean Kriek.
La soudaine disparition de la comédienne fin août a en effet déchaîné des rumeurs malsaines de la part de vautours numériques pour qui chaque événement – peu leur chaut qu'il soit tragique ou qu'ils n'en aient qu'une vision biaisée – peut s'instrumentaliser au profit de leur intérêt. Dans la « Société du spectacle », tout fait ventre. À vomir.
★★☆☆☆ De Ruben Östlund (Su.-G.-B.-É.-U.-Fr.-Gr., 2h29) avec Harris Dickinson, Charlbi Dean Kriek, Woody Harrelson... En salle le 28 septembre
à lire aussi
vous serez sans doute intéressé par...
Lundi 3 juillet 2023 Parmi les films qui sortent ce mercredi 23 août, la Palme d'or de Justine Triet, "Anatomie d'une chute". On vous dit ce qu'on en a pensé.
Mardi 27 septembre 2022 Chaque mardi, le Petit Bulletin vous parle sur RCF Isère (103.7 à Grenoble) ! Trois minutes de pur bonheur, en somme...
Jeudi 8 septembre 2022 Sur les écrans, rentrée rime souvent avec ventrée : le dernier trimestre concentre généralement l’essentiel des palmarès cannois, vénitiens et angoumoisins, auxquels s’ajoutent les blockbusters de Noël. Le programme s’annonce effectivement copieux,...
Vendredi 8 juillet 2022 En salle dans les cinémas de Grenoble ce mercredi : "Sundown", "Costa Brava, Lebanon", mais aussi "Le Rapport Auschwitz" ou "Mi iubita mon amour"...
Dimanche 2 juin 2019 Une famille fauchée intrigue pour être engagée dans une maison fortunée. Mais un imprévu met un terme à ses combines… Entre "Underground" d'Emir Kusturica et "La Cérémonie" de Claude Chabrol, Bong Joon-ho revisite la lutte des classes dans un...
Dimanche 14 janvier 2018 Marqué par un enthousiasmant trio d’interprètes (Frances McDormand, Woody Harrelson, Sam Rockwell) et une narration exemplaire (une femme souhaite que l'enquête sur le meurtre de sa fille avance enfin), ce "revenge movie" décalé réalisé...
Lundi 16 octobre 2017 de Ruben Östlund (Sue.-All.-Da.-Fr., 2h31) avec Claes Bang, Elisabeth Moss, Dominic West…
Mardi 4 juillet 2017 de Matt Reeves (É.-U., 2h22) avec Andy Serkis, Woody Harrelson, Judy Greer…
Lundi 5 août 2013 Un piteux exercice de manipulation, hypocrite et rutilant, avec un casting de luxe que Louis Leterrier n’arrive jamais à filmer, trop occupé à faire bouger n’importe comment sa caméra. Nullissime. Christophe Chabert