Oscar Navarro : « La prise de conscience écologique est là. C'est le passage à l'action qui est difficile »

Psychologie / "Influencer les comportements écologiques", c’est le titre de la conférence que donnera à Grenoble Oscar Navarro, professeur en psychologie sociale et environnementale à l’Université de Nîmes, sur l’invitation de la MSH-Alpes dans le cadre du cycle "1h de psy". Ou comment les sciences sociales doivent être prises en compte pour impulser un mouvement collectif en faveur de la transition écologique efficace.

Avant tout, qu’appelez-vous, en psychologie sociale, les comportements écologiques ? 

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Oscar Navarro : Vous vous en doutez, l’intitulé est assez réducteur ; d’ailleurs le terme "influencer" peut déjà être discuté ; est-il possible d’avoir une influence, de stimuler des comportements ? Et lorsqu’on parle de comportements écologiques, pour le coup, c’est une expression plus grand public pour évoquer ce qu’on appelle, en psychologie environnementale, les comportements pro-environnementaux, c’est-à-dire la préoccupation des individus sur l’impact de leurs actions sur l’environnement, dans sa dimension la plus globale possible. Ce sont des comportements qui indiquent une sorte de conscience, une inquiétude, par rapport à nos impacts.

Ces dernières années, on imagine que vous observez une réelle prise de conscience au sein de la population ? A-t-elle vraiment imprégné les individus ? 

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Ce n’est pas si nouveau que ça ! Les travaux en psychologie environnementale remontent aux années 70. En même temps que les problèmes environnementaux sont devenus un axe politique important au niveau international, et au moment où l’on a commencé à se poser des questions par rapport au dérèglement climatique et à l’impact humain sur la planète. On parlait à l’époque d’un nouveau paradigme pro-environnemental, c’est-à-dire de la prise de conscience des individus, pas des spécialistes, sur ces problématiques-là. Donc ce n’est pas vraiment nouveau, mais c’est vrai qu’il y a un sursaut depuis que la problématique climatique et ses effets sont actés.

Maintenant, il y a un rebond, tout le monde s’intéresse à la question du climat, y compris les décideurs et les politiques ; mais on continue de penser en dernier aux sciences sociales. Et cela explique aussi la difficulté que nous avons à entrer dans une vraie dynamique collective, sociale, pour faire face à la crise climatique.

Quand on parle du réchauffement climatique, on fait toujours référence aux sciences dites dures ; les sciences sociales sont-elles sous-sollicitées, et qu’ont-elles à apporter ? 

Les sciences sociales sont effectivement sous-sollicitées ! On ne pense pas spontanément à faire appel à nos disciplines – encore moins à la psychologie, d’ailleurs.

Pourtant, lorsqu’on parle de problématiques environnementales, on arrive toujours à des questions sur comment les gens font et que doivent-ils faire, que ce soit au niveau de l’individu comme au niveau de la prise de décision. Or la prise de décision, il n’y a rien de plus humain. Et elle peut être individuelle, mais surtout collective, puisqu’on parle des entreprises, de l’État, etc. Et pourtant, on a négligé des disciplines qui s’intéressent à cette problématique depuis très, très longtemps – et je parle autant de psychologie que de sociologie, d’économie, etc.

Maintenant, il y a un rebond, tout le monde s’intéresse à la question du climat, y compris les décideurs et les politiques ; mais on continue de penser en dernier aux sciences sociales. Et cela explique aussi la difficulté que nous avons à entrer dans une vraie dynamique collective, sociale, pour faire face à la crise climatique.

Justement, qu’en est-il du parallèle entre le rôle de l’individu, qui a affaire à sa propre conscience pour changer son comportement ou pas, et le rôle du politique, au sens large du terme ?

Ça ne suffit pas, en fait, que quelques individus, voire une bonne partie des individus dans une société, soient conscients de l’avenir et du dérèglement climatique. Une fois qu’on ne peut plus le nier – même si certains insistent – il faut voir ce qu’on fait collectivement, et pour le coup, ce sont aux sciences sociales d’apporter ces réponses.

Au niveau des individus, j’ai l’impression que la prise de conscience globale est là ; d’ailleurs, les outils de mesure que l’on utilisait dans les années 70, on ne les utilise même plus aujourd’hui. On a tous compris que le problème est là. C’est le passage à l’action qui est difficile. On ne l’explique pas par une histoire de volonté individuelle.

Le problème, justement, c’est qu’on mise tout sur la volonté des individus, et on néglige la prise de décision collective. C’est là que le politique, au sens noble du terme, a un rôle à jouer. Et là, on est tous inclus, on est tous des êtres politiques, des citoyens. C’est pourquoi dans les comportements écologiques, il s’agirait de ne pas seulement parler des écogestes, qui sont de l’ordre de l’individuel et de la vie privée, mais de parler plutôt des comportements écologiques de l’ordre de la vie publique. On agit tous publiquement quand on paie des impôts, quand on vote à des élections, quand on participe à un débat de société…

Il ne faut pas tout mettre sur le dos des politiques – là, je parle des professionnels de la politique – mais plutôt de l’action publique. Pour le dire plus bêtement, on ne va pas attendre que chacun s’y mette ; s’il faut convaincre tout le monde avant de se décider à entrer en action, on ne s’en sortira pas, pardon de le dire comme ça ! C’est tout simplement impossible, et pas que sur la question écologique : il y a toujours des prises de position différentes, et des intérêts différents.

Néanmoins, la société a prouvé qu’elle était capable d’agir collectivement et d’accepter des contraintes pendant la crise sanitaire, et tout récemment avec une baisse de la consommation énergétique des ménages qui a même surpris par son ampleur. Pourquoi n’est-on pas capable d’agir en société pour la question environnementale ? 

C’est un débat politique assez complexe, et il y a une forme d’inaction de la décision publique, qui n’est pas assumée. L’écologie nécessite la transformation d’un certain nombre de choses – sans tomber dans la caricature de ceux qui sont contre le discours de l’écologie politique, qu’il faut distinguer de l’écologie telle qu’elle est comprise par les scientifiques. Mais quelque part, il y a un lien : il y a notamment des transformations à mettre en place sur les productions, et visiblement, pour certains politiques, ce genre de décision est difficile à prendre, les aspects économiques jouent. On a procrastiné pendant longtemps, je rappelle que ça date des années 70… On n’a pas voulu prendre certaines décisions au bon moment, et plus on attend, plus la décision devient difficile à prendre. Il y a un manque de courage, de sérénité. Mais ça, il n’y a pas besoin d’être chercheur pour le comprendre !

D’un point de vue plus psychosocial, l’élément qui nous intéresse et sur lequel on travaille, c’est cette espèce de rapport confiance/méfiance qui s’est installé, de façon assez visible, entre les citoyens et les décideurs. Les exemples que vous donnez sont très parlants : ils prouvent qu’une fois que les gens comprennent bien, qu’on leur montre clairement les choses, ils peuvent mettre en place des comportements, des actions qui vont dans le bon sens collectif. Ce n’est pas une histoire seulement d’acceptabilité, un terme qui se retrouve beaucoup dans la bouche des politiques, c’est une question d’adhésion ou pas.

Le problème – et ça restera toujours la limite de l’exercice – c’est lorsqu’il y a des actions d’autres catégories sociales, entreprises, économiques, ou du voisin, ou même sur l’exemplarité des décideurs, qui ne vont pas dans le même sens. Ça contribue à créer une sorte de méfiance. Il y a un mécanisme très basique en psychologie sociale, qui est la comparaison sociale. Avant d’agir, on a tendance à voir ce que font les autres et comparer – je simplifie au maximum. Cependant, on voit que parfois la motivation est si importante que malgré ça, les gens modifient leurs comportements quand même.

À l’inverse, on voit aussi, de la part des discours politiques, à travers des termes que l’on étudie en psychologie et qui nous paraissent assez inquiétants, que les décideurs politiques sont eux-mêmes dans une forme de méfiance des citoyens. C’est le système inverse. Ils pensent que les gens ne vont pas écouter, ou qu’ils sont, pour le dire simplement, de mauvaise foi… Mes collègues qui travaillent en psychologie politique s’y intéressent particulièrement.

Vous étudiez aussi les comportements face aux risques majeurs et aux catastrophes naturelles. Pensez-vous qu’un tel événement pourrait être le déclencheur d’un changement collectif fort ? 

Ça peut vraiment avoir un effet, mais il ne peut pas être durable si on n’enchaîne pas sur la réflexion et les actions. On ne peut pas rester sur le seul choc émotionnel, parce qu’à un moment donné, il s’épuise. Il y a une charge émotionnelle au premier temps d’une catastrophe, le choc des images, de l’expérience… Mais on sait très bien, chez l’humain, qu’on ne peut pas rester sur une charge émotionnelle. Après, cet effet pourrait être capitalisé par une réflexion, une forme de rationalisation, via la dimension cognitive. On pourrait "profiter", avec de gros guillemets, du sursaut pour aller vers les décisions. Or, ce qu’on voit, c’est que ça s’épuise et on change rapidement de sujet. Le mécanisme psychologique ici, c’est ce qu’on appelle la stratégie de faire face. La psychologie humaine a un seuil, elle ne peut pas supporter le mal-être engendré par l’émotion négative ; donc on va s’intéresser à autre chose, oublier, voire nier. Si on n’a pas ancré la réflexion, en termes de communication publique, au moment de la catastrophe, ça n’est pas suffisant pour déclencher la décision.

Le sous-titre de votre conférence à Grenoble, c’est : "Saviez-vous que le parfait écolo n’existe pas ?". Un mot là-dessus ? 

C’est une phrase un peu accrocheuse (rire) ! Ça nous ramène à ce que je disais tout à l’heure : on ne peut pas tout miser sur la volonté individuelle. On entend souvent dire qu’il faut vivre avec ses contradictions. Mais quand je pense à ces contradictions-là, en fait, elles ne sont pas propres à l’individu lui-même ; elles sont dans la société elle-même, qui est contradictoire.

Influencer les comportements écologiques samedi 14 janvier à 16h à la bibliothèque Kateb-Yacine, entrée libre

 

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