Théâtre rural / Vingt-cinq ans d'existence pour ce très beau lieu associatif. Pour fêter ça, le Pot au Noir, à Saint-Paul-lès-Monestier dans le Trièves, lance la première édition de son festival, avec des noms familiers comme Georges Lavaudant ou Jean-Paul Angot. On parle passé et avenir avec deux cofondateurs, Valère Bertrand et Gérard Darcueil.
Qu'est-ce que c'est, le Pot au Noir ?
Valère Bertrand : L'idée qu'on avait, c'est de redonner de l'espace pour redonner du temps de création. On a plein de fragilités, mais notre force, c'est de pouvoir dire à une équipe en résidence : voilà la clé, vous êtes ici pour 4 ou 5 semaines. Par contre, on n'a pas l'équipement technique ou l'infrastructure RH de la MC2, c'est sûr... Moi qui suis comédien, quand j'ai démarré en 1987 avec Chantal Morel, on était sur deux mois de création à l'Hexagone, et on faisait dix représentations sur quinze jours. C'est énorme, il faut le remplir, l'Hexagone dix fois ! Maintenant, des résidences au temps long, ça n'existe plus, ou alors en morcelé – et encore.
Comment est né ce lieu il y a 25 ans ?
Gérard Darcueil : C'est né sur un coup de folie. La mère de Valère avait imaginé un projet de grande propriété où ses enfants pourraient greffer leurs propres projets. Elle est tombée sur ce patrimoine, le domaine de Rivoiranche. L'idée du théâtre s'est inscrite assez rapidement dans cette grange.
VB : C'était une façon pour ma mère de garder ses enfants près d'elle – c'est ça les mères ! Mais quand on est arrivés là (belle salle d'accueil, bar, cuisine, ndlr), il y avait cinq génisses et 45 centimètres de fumier. On a vu les volumes, mais aussi un toit en train de s'affaisser, une grange d'à peu près deux siècles, qui nécessitait des travaux de façon un peu urgente.
GD : Dans la foulée, on a créé une association, à une dizaine de personnes. Moi j'étais originaire de Lyon, mais je suis arrivé en 1971 pour travailler avec le beau-père de Valère, Paul Jargot, le sénateur-maire communiste de Crolles...
Le Pot au Noir, c'est une zone océanique redoutée des marins. Pourquoi ce nom ?
VB : Toute la charpente de la grange est autoportée, c'est comme un bateau à l'envers. Et pendant les travaux, c'était le Vendée Globe. Autissier avait passé le Pot au Noir, Auguin n'y était pas encore... Ce lieu est très redouté par les marins, car soit il y a du vent fort, soit c'est pétole. C'est un lieu de contraste, de calme. Et beaucoup de termes du théâtre viennent de la marine. Et puis appeler un lieu Pot au Noir, en pleine montagne... À La Rochelle, ça se comprendrait. Il y a un petit côté décalé...
Comment vous ont accueillis les gens d'ici, les élus et les institutions ?
VB : Ils nous ont dit bonjour, bienvenue ; ils étaient très intrigués, parce que le domaine de Rivoiranche était inoccupé depuis 25 ans, à l'abandon. Donc ils étaient plutôt contents. Et il y avait Paul Jargot, Monsieur le Sénateur.
On est arrivés sur un moment d'alignement de planètes. On était sur la dernière lancée des nouveaux territoires de l'art de Jack Lang, et sur la fermeture de la Maison de la Culture pour trois ans de travaux, qui cherchait des lieux hors les murs. Ils ont fait l'inauguration du Cargo ici, avec le sous-préfet, le député Didier Migaud. On a fait la première page du Dauphiné... 800 personnes en deux jours dans une grange qui s'écroule !
GD : Et à l'époque, il y avait dans ce petit village de Saint-Paul-lès-Monestier un maire qui a été très positivement sensible à ce projet, Jean-Paul Chion... Il a été extraordinaire. Pendant six ans, on a travaillé en dehors des normes de sécurité de l'accueil du public. Il le savait – on a toujours été transparents – et il a pris le risque.
VB : C'est quand les instits ont voulu emmener leurs élèves au Pot au Noir que le maire – c'est là où il a été super – m'a pris par la main, et m'a emmené au Département rencontrer le président Vallini, qui a suivi pour financer les travaux.
Je le dis : le Trièves se fait payer une politique culturelle par les autres collectivités. La culture n'est pas une priorité pour le territoire.
Et aujourd'hui, comment vit le Pot au Noir ?
VB : On est le Petit Poucet des scènes ressources. Les autres, c'est l'Hexagone, le Grand Angle, La Rampe... Si on nous coupe les subventions, on n'a plus les moyens de faire. Mais l'association existe et on ne peut pas nous virer du lieu. Donc on a une liberté de parole que peut-être certains ont perdu, parce que leurs postes dépendent de ça. Quand Pierre Suzzarini, qui est vice-président de la Communauté de Communes du Trièves (CCT), dit : « On a deux théâtres dans le Trièves, le Pot au Noir et le Poulailler. » Je réponds : « Non, Pierre, vous n'avez pas de théâtre ; ce sont deux initiatives privées. »
GD : Ça leur coûte sacrément moins cher !
VB : J'ai proposé à la CCT d'acheter le Pot au Noir. Au regard de notre histoire, du projet, de l'argent public qui a été mis sur le bâtiment... Quitte à nous faire une DSP ensuite. Ils n'ont pas voulu. Parce que pour eux, mettre 500 000€ d'investissement, et après faire fonctionner, c'est trop cher.
Je le dis : le Trièves se fait payer une politique culturelle par les autres collectivités. La culture n'est pas une priorité pour le territoire. C'est pour ça que je vous disais qu'on nous a dit bonjour, on nous a laissés travailler... Aujourd'hui, la grande communauté de communes (créée par la fusion de trois autres en 2012, ndlr) nous donne 3600€ de subvention annuelle.
GD : Plus une aide sur le matériel de 6000€ cette année. Ce qu'il y a, c'est que les autres partenaires ne sont pas incités à aider s'il n'y a pas une accroche forte du local qui dit : « Nous, on y tient. »
Qu'en est-il des autres collectivités, notamment la Région, qui a coupé brusquement dans la subvention de votre voisin, le festival Mens Alors ! (entre autres) ?
VB : La Région nous soutient, je touche du bois, on n'a pas été touchés par les baisses – pour le moment. Le problème, c'est que l'État dit : « On augmente si le territoire augmente. » Comme toutes les collectivités. Le Département de l'Isère, je n'ai que des remerciements à lui faire. On a 56 000€ du Département, 30 000€ de la Région, 10 000€ de l'État et 3600€ de la Communauté de communes.
GD : Et 300€ de la commune !
Et votre public, quel est-il ?
VB : Honnêtement, si on doit regarder ce qu'on a raté, c'est le rapport au public. Sur les Envolées, on était 18. Sur Les Voix Bulgares, on était 160, c'était plus que plein. Ça varie beaucoup, et c'est mixte entre les gens du Trièves et les gens de l'agglo. On est à un endroit géographique compliqué, le trait d'union entre l'agglo et le plateau du Trièves, dans le parc du Vercors, mais à la frontière, pas sur le plateau.
GD : Ça dépend beaucoup du spectacle. Les Voix Bulgares, on explosait, principalement avec des gens du coin. Papagalli vient, on remplit. Alors que samedi passé, sur la création des Envolées qui était remarquable, on était moins de 20 spectateurs. Même un artiste comme Philippe Caubère, qui est venu plusieurs fois ici, a joué parfois devant une salle vide.
VB : Le fait qu'on ne soit pas d'ici – on n'a personne au cimetière –, ça compte. On a des réseaux que les gens n'ont pas forcément ici, ça a pu générer une défiance. Après 25 ans, ça commence, on commence à être d'ici. Mais tout ça est encore jeune. Le rapport au public, pour nous, c'est encore un point d'interrogation ; on n'a pas le fond de sauce de 100 adhérents fidèles, qui ferait que la salle serait toujours à 50 ou 60 spectateurs ; et ça, on peut quand même considérer que c'est un échec. Après, il y a le festival des 25 ans qui arrive, et on va faire notre 25e Fête à Rivoiranche en septembre.
Quelle est l'idée du festival du Pot au Noir ?
VB : On célèbre ça ! Il y a l'idée de mettre un dernier coup de rein pour relancer. Dans cette programmation, il va y avoir des vieux – Georges Lavaudant, ce n'est pas le perdreau de l'année – et des jeunes aussi. L'intergénérationnel ! Il faut des espaces de transmission. Le festival en est un, clairement. Avec une nouvelle dimension, qu'on n'a jamais vraiment explorée, c'est le cirque. On va monter un chapiteau ici. Des festivals de cirque, il y en a ; nous, on mêle le cirque aux écritures contemporaines, ce qui n'existe pas.
Après ce quart de siècle, quel est le futur du Pot au Noir ?
VB : On a beau être vigilants, on s'institutionnalise un peu. On vieillit, donc on a besoin d'être payés, voilà. Sur le festival, on retrouve une énergie, et on va avoir beaucoup peur – on fait trois créations en quatre jours. On verra bien comment on en ressort. L'idée, c'est que ça génère de nouvelles dynamiques, qui nous permettent de transmettre le lieu pour les 25 ans à venir, à des jeunes. Je suis bénévole depuis 25 ans, j'ai six cachets par an... Je le dis aux partenaires, depuis deux ans : il faut un poste de directeur ou de directrice, payé. Sans ça, dans les trois ans qui viennent, on fera la fête de fermeture ! Aujourd'hui, on continue parce qu'on y croit et qu'on a envie, que ça nous fait plaisir, mais aussi parce qu'on en a l'énergie. Mais si on veut que ce lieu continue, il faut le réinventer. Et on a trois ans devant nous. Pour que ce projet soit réussi, il faut qu'il soit transmis.
Le Festival du Pot au Noir du 13 au 28 mai au domaine de Rivoiranche, et dans divers lieux de Mens, Sinard et Chichilianne. Programme complet sur www.potaunoir.com