Iris Kaltenbäck pour "Le Ravissement" : « La solitude est au coeur du projet »

Interview / Marquant la naissance d’une cinéaste prometteuse, "Le Ravissement" raconte à plusieurs personnages l’histoire d’un mensonge autour d’un bébé. Comme il dépeint des visages de ce que David Riesman appelait « la foule solitaire ». Conversation avec Iris Kaltenbäck.  

D’où vient ce film ?

Iris Kaltenbäck : Je suis partie d’un fait divers raconté en une phrase dans un journal : une jeune femme emprunte l’enfant de sa sa meilleure amie et fait croire à un homme qu’il est le sien. Je trouvais très belle l'idée de raconter le bouleversement d’une amitié et la possible naissance d’une histoire d'amour autour d'un même mensonge. Que du vrai naisse du faux, que ce soit à la fois tragique et que potentiellement quelque chose de beau en résulte. Ça ne me semblait pas du tout manichéen.

Sur la maternité plus particulièrement, j'avais envie d'aborder, justement, à travers le personnage de Lydia et celui de Salomé, deux aspects très différents de la maternité : comment une jeune femme qui n'a pas particulièrement de désir d'enfant commence à avoir des contraintes maternelles pour un enfant qui n'est pas le sien. Et à l'inverse, comment une mère qui enfante, qui a un lien biologique avec cet enfant, se retrouve bouleversée par le post-partum. Donc interroger le mythe de la maternité et parler du faux-semblant dans la relation amoureuse.

Selon vous, qui raconte cette histoire : Lydia ou Milos ?

Pour moi, il y avait un double point de vue : celui de Lydia est initié par celui de Milos. J’ai construit ce film comme une enquête, avec comme point de départ cet homme qui a été trompé, en quelque sorte. Et parfois, quand on a été victime d'un mensonge, on a besoin de se refaire film, pour savoir comment ça s'est passé : on ressasse les choses. Milos a besoin, à la suite du procès, de se raconter l’histoire — cette fois-ci pas de son point de vue, mais de celui de Lydia. Il interroge aussi sa propre responsabilité. Le personnage est complexe : il se demande comment il a fait pour ne pas voir, s’il a joué malgré lui un rôle dans ce mensonge… Bizarrement il essaie d'épouser le point de vue de Lydia. Ça me permettait de m'approcher au plus près de Lydia, dans le présent de l'image, mais avec une petite distance, en conservant le mystère du personnage tel qu’il m’apparaissait, pour l’aborder avec mon point de vue de cinéaste. Pour interroger son personnage et essayer de dire comment cette femme s’est enfermée dans cette spirale.

Vous parlez de mystère ; le personnage vous reste-t-il opaque à la fin de l’écriture et du montage ?

Il me paraît moins opaque à la toute fin du film qu’il ne me l’était à la fin de l’écriture grâce à Hafsia notamment et aux comédiens qui ont incarné d'une façon très vraie les personnages en les rendant moins opaques que ce qu'ils étaient pour moi. Mais j'ai fait le film parce que le personnage était un mystère, en étant consciente qu'il le resterait toujours. C’est ça que j'aime au cinéma.

Je pense à un film comme Millennium Mambo de Hou-Hsiao Hsien ; on a aussi cette voix off, on suit un personnage féminin qui est fascinant et qui m'intéresse beaucoup. Mais je ne sors pas du film en ayant toutes les réponses. J'ai assisté à un questionnement sur un personnage et je sens que le metteur en scène joue tout le temps avec la distance. Pour moi le cinéma est une affaire de distance. Mon film est né de la frustration qu’au procès, au fond, on doit juger. On doit donner une réponse, mais finalement, on ne s'approche pas toujours suffisamment de l’accusée. Je pars de cette frustration pour essayer de l'approcher un peu plus — tout en sachant qu'il y a des réponses que je pourrais pas donner. Tant mieux : je n'ai pas de jugement à donner.

Lydia et Milos sont deux personnages qui, à leur manière, sont déracinés. Qu'est-ce que cela a induit dans la construction des personnages ?

Pour moi, la solitude est vraiment au cœur du projet. C’’est même parti d'une sensation dans la ville. J'ai grandi dans la ville et j'adore regarder les gens ; j'ai toujours cette sensation étrange qu'on est comme une multitude de solitudes qui se côtoient : on vit ensemble, et en même temps, on est chacun seul ; et finalement, on n'arrive pas à combler cette solitude. C’est très fort, très présent à Paris. C'est pour ça qu’au début, on voit plusieurs silhouette et que la caméra s’arrête sur Lydia, presque avec cette idée qu’elle aurait pu s’arrêter sur une autre personne et raconter une autre forme de solitude.

Lydia, Milos et Salomé sont trois personnages très seuls. Lydia est une une sage-femme qui vit en décalage, un peu à contre-courant des autres, avec un métier terriblement prenant (douze heures sur le papier, mais c’est c’est plus 14 ou 15 heures) ; Milos est conducteur de nuit — donc aussi en décalage — issu d’une migration et qui essaie de se sortir de la communauté et de la pression familiale pesant sur lui. Et puis Salomé a l’air d’avoir la vie sur les rails mais va basculer au moment du post-partum et du congé maternité parce qu’elle est toute seule chez elle avec l’enfant..

Il y a une voix particulière qui est celle de la musique. Comment avez-vous travaillé avec le compositeur ?

La grande chance, ça a été qu'il a commencé à travailler dès le scénario — c’est très rare. Ce qui m’a semblé surréaliste, c’est qu’en travaillant à partir d’un scénario, il se sentait plus libre parce qu'il n'y avait pas encore une image “écrasante“. Il ne se sentait pas en “commentaire des images“ et il avait déjà eu le temps de faire toute une proposition de vraie thème musicale. Je lui avais donné des références et un seule indication: à partir du moment où il y a de la musique, il faut vraiment qu'elle soit une voix de l’histoire, presque une ligne narratrice, pas juste là pour souligner l'émotion. Et il a fait une vraie proposition de B.O.

J’avais donc déjà entendu certains thèmes avant le tournage. Ça a aussi permis qu'au montage, on n'ait jamais à poser de musique temporaire — ce qu'on fait souvent d’habitude ; on pose des grands tubes dont on n'aura jamais les droits. La musique s’est vraiment formée en parallèle de l'image du montage, ce qui fait que je pense qu'elle a pris une place à elle. Quitte à en mettre, il fallait qu’elle soit une voix du film, au même titre que le reste.

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