Il y a trois ans, Mark Neveldine et Brian Taylor, un duo de réalisateurs défoncés à on ne sait trop quelle substance, offraient à un public qui n’en demandait pas tant l’invraisemblable Crank (Hyper Tension dans la langue de Molière et de Patrick Bosso). Soit, censément, la dernière journée de Chev Chelios (Jason Statham, apoplectique), tueur à gages ayant failli à son dernier engagement. Pour se venger, ses mutins employeurs lui inoculent le fameux (?) Cocktail de Pékin, un poison nécessitant de booster son cœur à l’adrénaline pour éviter qu’il n’explose… Sur cette trame couillonne à en pleurer, notre dynamique duo se laissait guider par un rythme frénétique, une inventivité ahurissante en termes de délire régressifs alignés les uns à la suite des autres en dépit de toute cohérence, de toute crédibilité et de toute bienséance. Idiot, misogyne, politiquement inconscient, filmé et monté à peu près n’importe comment, en fonction d’une logique de la surenchère tout ce qu’il y a de plus puérile, Crank visait clairement à flatter la partie la plus beauf du cerveau, tout en faisant violemment du pied à l’univers vidéoludique – le film se posant comme une sorte de fusion bâtarde des univers déviants de GTA et de Postal.

Trois ans plus tard, et ce alors que la fin du film ne laissait pas vraiment la porte ouverte à une suite, Neveldine et Taylor remettent le couvert, décidant au passage de repousser encore plus loin les limites de la suspension d’incrédulité. L’action débute directement là où s’achevait le premier opus : Chev Chelios s’étale sur le bitume après une chute de plusieurs dizaines de mètres. Sa carcasse est illico ramassée et balancée dans une ambulance. Opéré à la truelle par des hommes de main asiatiques pas super consciencieux, notre héros bas du front se réveille avec un appareil à valves à la place du cœur, devant être rechargé électriquement toutes les heures – alors que dans le premier film, Chev multipliait les actions crétines pour se shooter (ingestion de cocaïne à même le sol, conduite extrême, mutilation volontaire à l’aide d’un gaufrier, head-banging frénétique sur de la country, saillie de sa petite amie en plein Chinatown sous les acclamations des badauds…), il va à présent devoir tester toutes les formes d’électrocution possibles et imaginables… Ce qui va s’avérer bien pratique en termes narratifs, et permettre à nos deux poètes derrière la caméra de se livrer à une relecture ouvertement gonzo du premier opus selon un credo tout ce qu’il y a de plus basique : louder, faster, bigger, stronger.

Maintenant qu’ils n’ont même plus trop se soucier d’un seul impératif dramatique (recharger l’énergie de leur héros, comme dans un jeu vidéo, justement), les deux réalisateurs donnent libre cours au caractère le plus foutraque de leur récit. Autant le premier Crank respectait un minimum un fil conducteur, autant ce deuxième volet est en totale roue libre, enchaînant les péripéties toutes plus imbéciles les unes que les autres, en une application littérale des techniques du style gonzo, tel qu’il a été dévoyé par l’industrie pornographique : une plongée sans recul au cœur de l’action, où les plus bas instincts sont captés sur le vif par une caméra tressautante. Passée la courte introduction précitée, les premiers pas de Chev Chelios dans sa nouvelle condition donne le “la“ – après avoir obtenu des informations de la part d’un homme de main qu’il vient de sodomiser avec un fusil à pompes, Chev s’avance vers la première voiture, se branche sur le moteur à l’aide de pinces et s’envoie sa première décharge de la sorte… A partir de là, on devine à grand peine le chaos qui va suivre, où chaque composante du premier film est démultipliée avec un bonheur irresponsable.

Si les femmes n’étaient pas vraiment à l’honneur dans Crank, elles sont ici clairement désignées comme des biatchs lubriques (Amy Smart, qui a désormais pris goût au sexe en public et le prouvera lors d’une “mémorable“ séquence dans un hippodrome) ou complètement écervelées (Bai Ling, qui devrait décidément lire les scripts avant de signer). Si les dialogues ne brillaient pas vraiment par leur classe, ils sont ici systématiquement vulgaires, crétins et, dans le meilleur des cas, totalement non-sensiques. Si la réalisation peinait à se mettre au diapason de son rythme hystérique, elle oublie ici toute convenance pour verser dans le plus pur free-style, qui pourrait passer pour du baroque si on n’était pas dans un tel n’importe quoi, assumé, certes, mais tout de même bien usant sur la longueur. Avec tous ses défauts criards, Crank 2 se pose comme une aberration filmique fièrement revendiquée par ses créateurs, qui semblent ne rien tant aimer que repousser les limites du cinématographiquement correct, pour le plaisir pervers de ses spectateurs en mal d’œuvres si ce n’est subversives, du moins frondeuses dans la mise en scène de leurs excès.

Objet déviant et fascinant dans son déroulé farouchement imprévisible, parangon de beaufitude farci de clins d’œil appuyés à de nombreux pans de la contre-culture US (via les apparitions de porn stars, de catcheurs, de rock stars défraichies ou même de l’insupportable enfant vedette Corey Haim, ici flanqué d’une coupe mulet de toute beauté), Crank 2 révulse autant qu’il hypnotise, et possède au moins le mérite de réveiller un spectateur pris dans le flot terrassant des sorties ciné tiédasses, fadasses, désespérément anodines. Ce qui en dit long sur l’état actuel de la production cinématographique mondiale, malheureusement…

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