Corée graphique

La violence sourde de "Breathless" doit autant au vécu de son jeune réalisateur, Yang Ik-june, qu’à son tournage épique, en mode commando. La preuve en quelques réponses. Propos recueillis par François Cau

Petit Bulletin : Jusqu’à quel point peut-on prendre votre film comme une métaphore sur l’état global de la société coréenne ?
Yang Ik-june :Je ne suis pas dans la métaphore, mais dans une expression réaliste et très directe. Il y a sûrement des gens de mon âge ou plus jeunes qui n’ont pas connu ce genre de violences, mais on est beaucoup à avoir vécu cette réalité. Même si la situation s’est sensiblement améliorée aujourd’hui, ça fait partie du paysage de mon enfance, de mon adolescence. On était nombreux dans mon entourage à être exposés à cette violence familiale, notamment celle exercée par le père. Les pères n’étaient pas volontairement violents, ils répondaient à leur statut de victime de la société, ils subissaient une pression à l’image de celle de l’Etat sur la nation. Dans cette société pas très saine qu’était la Corée, on a imposé trop de responsabilités aux patriarches, qui ne trouvaient de réponse que dans cette violence. Certaines personnes de la génération de mes parents sont venues voir le film, et en sont reparties très touchées, elles en souffraient presque.

Ce qui frappe dans le cinéma d’auteur coréen, c’est cette impression que votre génération est prisonnière des erreurs du passé, qu’elle est amenée à les reproduire malgré elle… Y a-t-il de l’espoir pour les générations à venir ?
Il faut que les choses changent, c’est évident. C’est dans cette optique que j’ai conçu le personnage le plus jeune du film, dans une inspiration autobiographique, d’après une nièce que j’aime beaucoup, qui a été élevé par ses grands-parents après le divorce de sa mère. Le film se nourrit de mes souvenirs, il a un début, une fin, mais la vraie vie commence après la projection. Je l’ai senti en discutant avec le public coréen, Breathless provoque pas mal de chocs et pousse à remettre un certain nombre de faits en question.

Breathless ne ressemble ni au cinéma d’auteur coréen tel qu’on peut le voir dans les festivals, ni aux divertissements grand public qui prennent le dessus dans vos salles… Avez-vous pu le produire facilement ?
C’est une histoire sans précédent, truffée de conditions difficiles, j’espère sincèrement qu’il s’agit du dernier film produit de cette façon ! J’ai emprunté de l’argent partout, je suis allé jusqu’à annuler le contrat de location de mon appartement pour récupérer la caution et squatter où je pouvais, je courais chaque jour pour avoir un peu d’argent… Le tournage était prévu sur 50 jours, et finalement au bout de 35, j’ai dû renvoyer toute l’équipe faute de budget, il ne restait plus que mon assistant et moi. Je devais monter les décors seul, composer avec les mafieux qui sont venus nous racketter ; une autre fois, une vieille dame a assisté au tournage d’une scène violente sans voir qu’on filmait, elle a appelé la police et je me suis fait embarquer… Et pour le mixage final, je devais me rendre dans un établissement situé à quatre heures de trajet en train, bus et à pied. Le responsable m’a dit qu’il n’y avait que deux cinéastes à fonctionner comme ça, Kim Ki-duk et moi…

Justement, à force de processus douloureux, vous n’avez pas peur de finir comme lui, dans un autisme artistique forcené ?
Non, pas vraiment, je n’ai jamais rêvé d’être réalisateur, j’aime juste le cinéma. Ce qui était important, c’était de raconter cette histoire que j’avais en moi depuis toujours. Le film a fait office d’exutoire.

Comment avez-vous géré l’aspect humoristique du film ?
Ce n’était pas vraiment calculé. Ce sont surtout les spectateurs coréens qui ont réagi aux scènes comiques, notamment à travers des aspects difficilement traduisibles, des jeux de mot sur les noms… Ils m’ont également confié que c’était ce qui leur avait permis de tenir jusqu’au bout. Mais ça ne faisait pas partie de mon plan initial, j’étais au final assez surpris d’entendre des gens me dire que le film les avait apaisés, presque guéris. C’est horrible de se dire qu’il leur fallait ce film, qui montre la violence familiale de façon assez grossière.

Peut-être que Breathless pallie le manque de communication entre les générations à ce sujet…
Il semble bien, oui, dans certains cas. Récemment, j’ai reçu un message sur mon site d’une personne qui me disait que grâce au film, elle s’était débarrassée de la haine qu’elle éprouvait pour son père, qu’elle était désormais capable de réfléchir de façon plus saine. Ce besoin de communiquer est essentiel pour prendre du recul, et arriver à une meilleure compréhension.

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Mercredi 7 avril 2010 De et avec Yang Ik-june (Corée du Sud, 2h10) avec Kim Kot-bi, Jeong Man-shik…

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