"We blew it" : les États-Unis entre le road movie et la mort

Comment a-t-on pu passer de "sex, summer of love & rock’n’roll" au conservatisme le plus radical ? Sillonnant la Route 66, le réalisateur français Jean-Baptiste Thoret croise les témoignages d’Étasuniens oubliés des élites et désillusionnés avec ceux de hérauts du Nouvel Hollywood. Balade amère dans un pays en gueule de bois.

Sans doute Jean-Baptiste Thoret aurait-il aimé ne jamais avoir à réaliser ce documentaire. Mais par l’un de ces étranges paradoxes dont l’histoire des idées et de la création artistique regorge, son édification a découlé d’une déprimante série de constats d’échec – ou d’impuissance. Elle se résume d’ailleurs en cette sentence laconique donnant son titre au film : « We Blew it » « On a merdé ». Empruntée à Peter Fonda dans Easy Rider (1969) de Dennis Hopper, la réplique apparaît à bien des égards prémonitoire, voire prophétique.

Roots et route

La route est longue de Chicago à Santa Monica : 2450 miles. Prendre le temps de la parcourir permet de mesurer (au sens propre) l’accroissement incessant de la distance entre les oligarques du parti démocrate et la population. De constater la paupérisation et la fragilité de celle-ci. D’entendre, également, son sentiment de déshérence ainsi que sa nostalgie pour un "âge des possibles" (et de toutes les transgressions) révolu. Une somme de frustrations capitalisées par un Donald Trump prompt à faire miroiter le rétroviseur : dans son « Make America Great Again », beaucoup de laissés pour compte ont pris pour eux-mêmes la promesse programmatique de retrouver leur grandeur passée.

Aux paroles des anonymes, le documentariste ajoute celles de figures de la contre-culture ; de ceux qui ont creusé dans la fougue des 60’s les fondations du Nouvel Hollywood. Une balade avec le réalisateur Jerry Schatzberg dans le New York jadis mal famé, désormais gentryfié en dit long sur l’évolution des choses. Les libérales années 1980 sont passées par là, les pauvres ont été repassés par les crises, et l’obscénité du capitalisme s’est surpassée : « We Blew it. »

Parallèlement aux sujets qu’il traite, Thoret accomplit en sus un acte personnel "sécessionniste", entérinant sa démarcation volontaire de la critique, dont il a constaté l’extinction progressive – ici aussi, un âge d’or est révolu. La raréfaction des lieux où produire et diffuser de l’analyse cinématographique l’a conduit à franchir le pas en devenant cinéaste. Il est, au passage, hallucinant que le ce film interrogeant le présent autant qu’il convoque un pan décisif de l’histoire du 7e art, nourri de témoignages précieux de James Toback ou du regretté Tobe Hooper (pour ne citer qu’eux), n’ait pas figuré en bonne place dans la programmation du dernier festival Lumière (Lyon). Trop politique, peut-être…

We blew it
de Jean-Baptiste Thoret (Fr., 2h17) documentaire
Date de sortie grenobloise pas encore connue

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