Faust

Dernier volet de la tétralogie d’Alexandr Sokourov, Faust emmène son cinéma vers des cimes de sophistication visuelle, longue hallucination cinématographique dont le texte très littéraire servirait de guide raisonné. Une expérience épuisante mais assez inoubliable. Christophe Chabert

Faust arrive sur les écrans près d’un an après son sacre à la Mostra de Venise, mais il paraît appartenir déjà à une autre époque. Reste à savoir si cette époque est un futur proche où l’image numérique aurait été assimilée par les metteurs en scène les plus exigeants pour transcender leur cinéma ou un passé renvoyant à l’avant-garde de l’Est (Faust rappelle autant l’onirisme tchèque que le cinéma soviétique)… Ainsi, le 4/3 aux bords arrondis et le sfumato d’une image tirant vers le sépia signée Bruno Delbonnel (le chef opérateur de Jeunet) rencontrent des effets spéciaux inattendus, comme lors de ce subjuguant plan d’ouverture où un miroir traverse les nuages pour aller se déposer sur une petite ville elle aussi hors du temps. Passé et présent, jeunesse et éternité : c’est aussi Goethe qui rencontre l’imaginaire stylisé d’Alexandr Sokourov ou, bien sûr, le professeur Faust qui croise le chemin du Diable.

Le Diable par la queue

Comme Cosmopolis de Cronenberg, Faust est un film de texte et de mise en scène. On ne peut pas vraiment parler de scénario dialogué, tant c’est avant tout une langue, rugueuse et littéraire, qui sert de guide dans la cathédrale filmique de Sokourov. L’image ne cherche que la fulgurance, dans les visages (magnifiques portraits vivants de Margarete, incarnation d’une beauté encore vierge d’un mal qui peu à peu l’encercle) ou dans les soudains changements d’échelle des plans ; le texte, lui, relève de la méditation poétique et philosophique. Les deux réunis provoquent un effet d’épuisement sur la longueur d’un film dont on sort ébloui et hagard.

Sokourov, pourtant, n’a jamais été aussi limpide qu’ici : son Faust encore vert scelle un pacte tardif et sans réel enjeu avec un Diable sans charme qui n’a d’autre dessein que l’accompagner comme le spectateur amusé de ses turpitudes et égarements. La monstruosité du pouvoir et la quête de la jouissance, sujet de cette tétralogie dont Faust est la conclusion, rodent au cœur des séquences : on se renifle, on se touche, on cadre en gros plan le pénis d’un cadavre avant de l’éviscérer, on se déshabille pour révéler un corps difforme où la queue du Diable porte bien son nom, et finalement on vend son âme pour un précieux et fugace instant de plaisir… En s’abstrayant des références à l’Histoire des volets précédents, Sokourov gagne indéniablement en ampleur dans ce Faust fascinant et unique.

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