Portrait / À 32 ans, Thierry Jolivet s'apprête à monter sur scène Vie de Joseph Roulin, ce facteur et ami de Van Gogh dont l'écrivain Pierre Michon a fait œuvre. Autour de lui, des musiciens et des membres de leur Meute avec laquelle il avait éclaboussé le théâtre lors de la création de Belgrade en 2013. Itinéraire en construction.
Il a eu, à l'adolescence, « une passion intense et totale » pour le cinéma mais en aucun cas faire du théâtre n'est une compensation pour le metteur en scène Thierry Jolivet. Enfant, entouré de ses parents profs, il a bien fait quelques ateliers théâtre entre Vienne et Lyon où il grandit mais c'est au lycée Saint-Ex, sur la Croix-Rousse, en suivant les cours de Catherine Marion qu'il voit ses premières pièces, car auparavant sa connaissance en matière de théâtre « était nulle ». Voici qu'il ingurgite des spectacles monstres : Le Dernier Caravansérail d'Ariane Mnouchkine à la Cartoucherie de Vincennes où il se déplace avec l'établissement scolaire ou Les Vainqueurs d'Olivier Py, « où Christophe Maltot tient la baraque pendant dix heures ! » se souvient-il.
Pourtant, le bac en poche, c'est en cinéma qu'il s'inscrit à Lyon 2 où il dit s'ennuyer « sauf au cours de Rebecca Zlotowski », la (future) réalisatrice de Grand central. Mais insatisfait de ce qu'il produit en vidéo et par « l'appel un peu brutal d'aller vers la littérature » (les mots sont toujours très forts), il se dirige, en 2010, vers le théâtre. Le Conservatoire régional d'art dramatique de Lyon vient de renaître de ses cendres grâce à Philippe Sire et la pédagogie est de former des fabricants de théâtre, pas juste des comédiens, se remémore Thierry Jolivet qui, pour autant, suit ces trois ans de formation pour savoir ce qu'est « le seul métier du théâtre, acteur ». Il s'astreint alors à ne faire que cela (et pas d'assistanat de mise en scène) pour ensuite mieux savoir diriger des acteurs. L'heure est à cet apprentissage précis. Là-bas « tout s'est résolu » dit-il. Il s'y construit une famille avec ses camarades. Avec Florian Bardet, Clément Bondu, Gabriel Lechevalier, ils créent La Meute au sortir du Cons' et Les Foudroyés, « un spectacle monté dans une économie très restreinte mais avec notre soif, notre arrogance, notre insouciance ; on a mis tout ce qui bouillonnait en nous, ça a fondé notre façon de faire du théâtre. » Avec un brin de provoc', il est écrit que c'est « d'après Dante et cinquante autres auteurs » car ensemble ils découpent des morceaux de textes dans les bouquins de leur bibliothèque et composent leur patchwork.
Dépeçage
Ensuite, ils continueront à fouiller du coté des grands auteurs non théâtraux et notamment Dostoïevski pour Les Carnets du sous-sol présentés à L'Élysée en 2012 où la mise en scène déborde dans le hall du théâtre, où la nourriture que les acteurs avalent salit moins que les mots qu'ils se jettent à la figure. L'Idiot ! de Vincent Macaigne triomphe peu avant à Avignon. Avec le recul, Thierry Jolivet, qui pourtant se dit « mauvais spectateur » et va peu dans les salles, surtout pour voir des choses semblables à ce qu'il fait, admet que « ça l'a vraiment frappé et ça lui a plu ». Cette fureur ne le quitte pas et le fait opter pour un travail sans argent (lui et ses compères le gagnent autrement) mais qui permet aux spectateurs d'identifier leur désir plutôt que de chercher à rentrer dans l'institution car, au début, sans notoriété, « ça pousse mécaniquement à faire ce qu'on n'a pas envie de faire ».
Il insiste sur le rôle important du réseau des Scènes découvertes, « un truc précieux qui n'existe pas partout ». Simon Delétang les voit jouer. Il ne les programme pas aux théâtres des Ateliers, où il se débat à la direction avec Gilles Chavassieux, mais leur laisse le plateau une semaine au terme de laquelle « on voulait montrer quelque chose ». Au cœur d'une après-midi de mars 2013, surgit donc Belgrade. Une claque. Pour une fois, Thierry Jolivet se colle au très contemporain avec ce texte d'Angelica Liddell sur les ravages de la guerre en Yougoslavie. Il y adjoint Cioran, Maïakovski et tant d'autres, laisse place à des monologues puissants et au duo Jean-Baptiste Cognet et Yann Sandeau pour un live d'inspiration post-rock. Brillant. Cette pièce, née dans l'urgence, aura la reconnaissance et le prix Impatience du public à Paris, tremplin phare de la jeune création théâtrale.
Pour une fois, Thierry Jolivet aura de l'argent pour sa création à venir.
« J'aime assumer cette part de stupidité qui consisterait à dire que si on a fait des spectacles de deux heures en deux semaines sans argent, alors si on nous donne de quoi répéter quatre à six semaines, faisons un spectacle de quatre heures » s'amuse-t-il.
Ce sera, aux Célestins qui le soutiennent depuis Belgrade, La Famille royale de William T. Vollmann et une plongée en apnée dans les bas-fonds de la société américaine. Remarquable travail, aussi épuisant pour les spectateurs qu'il le sera pour le metteur en scène, qui a consacré deux ans de sa vie à son adaptation. Il est « content qu'il ait été vu comme aucun de nos spectacles — 20 dates — et joué dans des CDN, mais j'aurais espéré que ce soit plus facile après. » Ce ne sera pas le cas.
Assemblage
Thierry Jolivet réduit la voilure, cesse de faire des spectacles comme des « combats », et, après avoir continué à faire l'acteur chez Laurent Brethome, il se penche sur un auteur très cher, français, dont il ne tresse pas le texte avec d'autres congénères : Pierre Michon. Vie de Joseph Roulin est « plus une étreinte, c'est plus doux et lumineux » que ce qu'il a pu adapter précédemment. Il interprète cet ami de Van Gogh, entouré de ses fidèles acolytes musiciens et avoue que c'est celui de ses projets qui ressemble le plus à un autoportrait. Simplement il conçoit ce spectacle comme un épilogue de ce qu'il a pu déjà faire en racontant « l'histoire d'un type dont les traces sont le plus dévorées par notre monde, car ses œuvres se retrouvent dans les endroits les plus éloignés des circonstances dans lesquelles elles ont été peintes, sur des tote bag et des tee-shirts. »
Très nouvellement devenu père, établi fréquemment en Haute-Loire, Thierry Jolivet semble revenir à l'essence de son engagement artistique : « convoquer le sens là où on ne le voit pas ». Enjoint à mener des travaux de mise en scène dans les écoles sup', il ne cesse de redécouvrir ce métier. Brièvement, il s'est porté candidat à la direction du théâtre du Point du Jour il y a un an, mais l'a déjà oublié tant ce qui l'intéresse se passe sur un plateau et moins en coulisses. Lorsqu'il parle, Thierry Jolivet ne finit jamais vraiment ses phrases à tant chercher le mot juste. Concernant celles de Michon, il dit qu'elles sont « sans colère, très consolantes et dans la célébration d'une certaine forme de mélancolie ». Il s'apprête à les transmettre.
Vie de Joseph Roulin
Au TNG-Les Ateliers (programmé par les Célestins) du mercredi 11 au vendredi 20 décembre
Repères
1987 : Naissance
2007-2010 : Conservatoire d'art dramatique de Lyon
2010 : Création du collectif La Meute
2011 : Le Grand Inquisiteur
2012 : Les Carnets du sous-sol
2013 : Belgrade
2017 : La Famille royale
2019 : Vie de Joseph Roulin