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Gilles Perret : « mon ennemi c'est la finance, je le reprends volontiers à mon compte !»

Reprise en main
De Gilles Perret (FR, 1h47) Avec Pierre Deladonchamps, Laetitia Dosch, Grégory Montel

Entretien / Changement de forme mais pas de langage pour Gilles Perret, qui dévoile la mécanique retorse des LBO ("leveraged buy-out", ou rachat d'entreprise par endettement), une méthode capitaliste que les personnages de sa première fiction "Reprise en main" vont détourner à des fins vertueuses. Rencontre.

La fin de votre film précédent, Debout les femmes, prenait la forme d'une fiction. Était-ce une manière d'annoncer votre arrivée dans ce registre ?
Gilles Perret  : (rires) Faut y aller mollo, parce que les gens de la fiction n'aiment pas trop nous voir arriver dans leur monde. On dit toujours qu'on n'est pas forcément mieux armé quand on vient du documentaire ; c'est comme si tu venais de nulle part. On a tendance à nous caricaturer — du style : on va être un peu trop démonstratif, etc. Je pense que mon nom dans certains endroits n'arrange pas forcément non plus. 

Si Reprise en main marque votre passage du documentaire à la fiction, c'est surtout celui d'un tournage presque en solitaire, au collectif qu'implique une très grosse machinerie cinématographique. Quels changement cela a-t-il induit dans votre méthode de travail ?
(rires) C'est sûr que c'est le grand écart. Pour mes derniers documentaires, on était deux dans la voiture de François [Ruffin, NdlR], et puis là, tout d'un coup, il y a quarante techniciens et les comédiens. Mais en fait, c'était pas si compliqué que ça parce que déjà, j'aime bien travailler en groupe. Après, il faut quand même se mettre une chose dans la tête : même s'il y a du monde, ces gens sont tous là pour nous aider, pour nous décharger de plein d'aspects pour qu'on se concentre vraiment sur la mise en scène, sur les placements et mouvements de caméra. Donc, une fois qu'on a compris ça, tout va bien ; on n'est pas là pour diriger la PME. Et quand on a choisi les techniciens et les comédiens, on a vraiment misé sur la relation humaine et sur l'envie qu'ils avaient de faire ce film. 

Quand ils sont arrivés, on les a immergés dans notre milieu, sur les falaises que j'ai grimpées, dans les bistrots où on va boire des coups, dans l'atelier d'un copain avec qui j'étais à l'école... On leur a fait découvrir le métier et la région, et c'est vrai qu'ils se sont sentis un peu investis d'une mission. Et ça c'est vraiment fait dans la bonne humeur. Finalement, l'apparente lourdeur, quand c'est dans un bon état d'esprit, c'est plutôt bien. Après, c'est sûr que par rapport au documentaire, on manque de souplesse. Heureusement, on a pu en gagner dans quelques séquences. C'est très rassurant : ça donne aussi envie de faire d'autre films. Si là il y a une une apparente approche documentaire dans la proximité avec les gens, l'hyperréalisme, je pense qu'on peut gagner encore un petit peu dans la façon de faire.

Comment avez-vous travaillé l'intégration des équipes, justement ? Par cooptation, en créant une bande, par adéquation “idéologique“ ?
On leur a demandé leur carte politique (rires). Globalement, c'est clair que l'on a eu affaire — ce n'est pas un hasard s'il ont sauté sur le scénario — à des gens qui ont quand même une préoccupation pour l'Autre, pour la société. Avec des sensibilités diverses, mais qui avaient clairement envie de porter ce discours optimiste, qui connaissaient mes films d'avant et qui avaient envie de travailler avec moi pour ça. Il y avait une certaine légitimité. 

Le cinéma, c'est très hiérarchisé et moi j'aime bien passer en direct. Tout le tournage a été un peu comme ça, on a cassé les codes : il y avait des techniciens qui avaient vingt ans d'expérience qui me disaient : « tu sais, on a autant discuté avec toi sur ce tournage que depuis vingt ans avec le cumul de tous les réalisateurs avec qui on a travaillé ». C'est assez flippant comme c'est compartimenté. Pour nous, c'est un film de bande, alors on essaye d'être cohérent entre ce qu'on raconte et la façon d'être sur le tournage.

Quelles ont été vos sources pour nourrir la dimension “thriller financier“ ?
Toute l'inspiration du film vient du réel. J'avais déjà traité ce sujet il y a quinze ans, ça fait un moment qu'on bosse sur ces mécanismes qui font des ravages. On avait besoin quand même de documenter encore dessus. On était déjà au point mais comme on voulait vraiment que l'ensemble du scénario soit crédible, on l'a fait valider par des financiers suisses (qui exercent la même profession que le personnage de Frédéric dans le film). On a bien sympathisé avec l'un d'entre eux — il a quitté ce monde il y a deux ans ans parce que c'était juste insupportable. Il trouvait même qu'on n'avait pas assez grossi le trait sur leurs anglicismes, sur les trahisons... Ils sont à l'affût de tous les bons coups ! Quand on les a rencontrés la première fois, ils expliquent l'horreur avec des petits schémas assez simples et le sourire. Et on voit qu'ils sont complètement déconnectés du réel, en étant persuadés que leurs méthodes consistant à tout rationaliser, ça rend les gens plus performants. 

Mon ennemi c'est la finance, je le reprends volontiers à mon compte. Parce que l'autre, il a rien foutu, il va bien falloir qu'on s'y attaque à un moment donné. Je fais ce que je peux avec mes outils — ça reste des films, du cinéma : faut pas non plus se prendre pour ce qu'on n'est pas. Mais quand il y a possibilité de montrer un peu le phénomène... Parce qu'ils ne souhaitent qu'une chose : que ça ne se raconte pas. Or leurs méthodes ne sont pas super compliquées. Sauf que tous leurs anglicismes noient le poisson et on a l'impression que ce sont des génies. C'est comme quand les médecins veulent garder le savoir : ils vous embrouillent avec des termes alors qu'ils pourraient vous expliquer les choses clairement pour ne pas perdre leur statut, leur aura. La finance consiste à rester caché. La dialectique y contribue. Le film montre que si on a les codes vestimentaires et le vocabulaire, finalement, c'est juste une question d'apparat. En revanche, qu'un financier vienne faire le décolleteur, ça va être plus dur...

Avez-vous déjà une distribution du film en Suisse ?
Pas encore. L'évocation des frontaliers dans le film, c'est des trucs qu'on vit tellement au quotidien dans notre région que c'est un vrai plaisir de mettre juste une ligne de dialogue. Et là dans la salle tout le monde est mort de rire. On verra pour Genève. On a tout fait en tout cas pour y tourner, même si ça coûtait cher.

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