Drame / Le parcours d'une mère célibataire et de ses deux enfants venus d'Afrique avec, en filigrane, trente années de la société française. Instants de vies et d'intimité d'une famille ordinaire, cependant représentative de milliers d'autres ; une épopée du quotidien signée Léonor Serraille.
Fin des années 1980. Rose arrive de Côte-d'Ivoire en France avec pour seuls bagages ses deux jeunes enfants, Jean et Ernest. Accueillie par la communauté africaine de Paris, elle trouve du travail comme femme de chambre, mais tient farouchement à conserver son indépendance de femme — quitte à heurter. Au fil du temps, ses enfants vont grandir en périphérie de Rose, Jean se substituant à la fois au rôle du (beau-)père absent et de la mère plus ou moins présente. C'est beaucoup pour un jeune garçon...
On ne s'en cache pas, les errements-errances de l'héroïne Jeune femme — le premier long-métrage de Léonor Serraille — ne nous avaient guère convaincu. Il faut toutefois reconnaître à cette œuvre d'avoir permis de mettre en lumière le talent de Laetitia Dosch et (indirectement, grâce à la Caméra d'Or glanée à Cannes en 2017) à la cinéaste de poursuivre sa carrière avec ce nouveau film témoignant d'une tout autre ambition sociologique : à l'urgence d'une “coupe transversale” dans l'époque contemporaine succède une analyse longitudinale d'une amplitude générationnelle.
Collant toujours au plus près de ses protagonistes, la réalisatrice se fait concomitamment portraitiste de groupe et des individus qui le composent. Par son choix de se focaliser tour à tour sur Rose, Jean puis Ernest, comme par celui d'épouser un temps long, le récit offre une grande diversité de points de vues, en conservant une forme d'objectivité : le film peut ainsi se regarder comme une collection de faits, un enchaînement de causalités aboutissant à ce qui lui donne son titre en apparence sibyllin, mais d'une clarté émouvante lorsqu'il se fait entendre dans les ultimes secondes. Sans trop vouloir en dévoiler, il rappelle à chacun de nous que nous sommes le produit de celles et ceux qui nous ont précédés... ainsi que les antécédents de ceux et celles appelés à nous succéder.
Une Rose et des épines
Fil central du récit sans pourtant être omniprésente à l'écran, Rose représente justement par sa présence parfois fantomatique l'histoire de bon nombre de femmes “invisibles“ ou invisibilisées — qu'elles soient immigrées ou non. D'abord parce qu'elle travaille comme femme de chambre dans un hôtel, métier où l'on exige l'effacement absolu (voir le récent À plein temps d'Éric Gravel) ; ensuite parce qu'en acceptant d'être la maîtresse d'un homme déjà en ménage et de le suivre avec ses enfants, elle se trouve contrainte de demeurer dans une clandestinité sentimentale. Il s'agit là d'un des revers de sa volonté farouche de vivre en totale indépendance, qui rejoint sa résistance à la pression communautaire comme à l'injonction de ressentir un instinct maternel absolu. Autant de traits de caractère donnant épaisseur et complexité à Rose et ne la plaçant pas d'office en position de victime.
Ce rôle échoit paradoxalement à Jean, héros malheureux d'Un petit frère, chargé de faire la soudure, écartelé entre ses devoirs et son envie de s'accomplir, mais rattrapé par sa trop bonne conscience et ses complexes. Stéphane Bak offre à ce personnage douloureux et sacrifié une remarquable incarnation, à laquelle répond avec beaucoup d'émotion Ahmed Sylla alias Ernest, adulte en fin de film.
Rendant compte de la capacité de la société française à accueillir et faire grandir par le modèle républicain autant que des relents de xénophobie continuant à la pourrir — une scène de contrôle d'identité est éloquente —, Un petit frère se distingue par son refus d'un manichéisme simplificateur en une période gangrenée par les dogmatismes binaires.
★★★☆☆ Un Petit frère
Un film de Léonor Serraille (Fr, 1h56) avec Annabelle Lengronne, Stéphane Bak, Kenzo Sambin...