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Camille de Toledo : les mots et les choses à la librairie Passages
Par Stéphane Duchêne
Publié Mercredi 15 mars 2023

Photo : © Francesca Mantovani / Gallimard

Camille de Toledo
Librairie Passages
ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement
Littérature / Après le choc de Thésée, sa vie nouvelle, Camille de Toledo revient avec Une histoire du vertige. Où il se livre, à travers les grands auteurs, à une exploration des liens poétiques qui nous rattachent au monde. Mais nous en séparent, aussi, au prix d'un vertige qui serait notre condition au XXIe siècle – et que nous appelons "effondrement". Un livre une nouvelle fois virtuose où la littérature comparée flirte avec la philosophie.
Le déséquilibre et la chute sont au cœur des deux dernières œuvres, profondes, très profondes, de Camille de Toledo. Dans Thésée, sa vie nouvelle, livre magistral et poignant, l'auteur racontait comment, alors qu'il s'effondrait littéralement sur lui-même, il avait retrouvé l'équilibre à travers une enquête familiale et psycho-généalogique après une série de drames — suicide de son frère, mort rapprochées du père et de la mère. Il s'agissait de se raccrocher, de prendre appui. Dans Une histoire du vertige, c'est un autre déséquilibre qui est à l'œuvre, global : une sorte de rupture entre l'humain, ivre des histoires qu'il se raconte, de ses fictions donc, et le monde.
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Ainsi serions-nous devenus des êtres sémiotiques, des Sapiens narrans « qui croient plus aux récits qu'ils tissent qu'aux épreuves de leurs corps et du monde ». Dès lors que nous commençons à croire aux mots, dès l'enfance, à souscrire à leur encodage du monde, nous construisons nos « habitats narratifs » (comme le narratif biblique, ou celui des grandes idéologies, les romans nationaux, la fable du progrès technologique, pour prendre les exemples les plus évidents), contre lesquels la réalité vient buter ou qui viennent buter sur elle.
Pharmakon
Le vertige viendrait donc du fossé creusé entre ces codes et ce que Camille de Toledo nomme la vie nue. Car le langage n'est jamais la vie, il la rappelle, il nous la redonne, il nous y renvoie, mais il y a une cassure que l'on ne saurait suturer. Et l'auteur de se permettre de dénoncer — c'est on ne peut plus paradoxal pour qui fait œuvre d'écrivain — notre capacité à se raconter des histoires, le sombre tableau des fictions qui ont confisqué le monde et fini par le détruire, en avançant la thèse suivante : la narration serait un « pharmakon », terme venu du grec et portant sa propre antinomie, qui désigne pareillement le poison et le remède. La solution, le Salut à notre vertige, serait donc dans le problème. Et Camille de Toledo de convoquer, entre autres, la figure de Don Quichotte, archétype du Sapiens Narrans car intoxiqué fictionnel, qui se noie dans la fiction et en même temps se sauve par elle. Car la fiction est aussi « un principe de relèvement » écrit-il.
Au fil de ce qui se présente, dans une adresse directe au lecteur, comme un ouvrage de philosophie s'appuyant sur l'exercice de la littérature comparée, sur sa thèse de doctorat — Histoire du vertige de Cervantes à Sebald, soutenue en juillet 2019 — et une série de conférences données sur le sujet, Camille de Toledo propose d'interroger de grandes figures de la littérature pour la réengager dans « le monde tremblé » du XXIe siècle, voir ce que disent ces textes (ceux des auteurs précités mais aussi de Melville, Pessoa, Faulkner, Borges, Montaigne) de nos systèmes d'appui. La chose n'est évidemment pas d'un abord aisé — moins que Thésée, sa vie nouvelle, s'il fallait comparer, justement — mais se révèle une nouvelle fois prodigieuse, d'une ambition quasi épique. Porté par un souffle d'écriture intact, Camille de Toledo dresse aussi en parallèle, à travers Sapiens narrans, quelque chose comme une tentative d'écrire une Histoire de la littérature.
Camille de Toledo, Une Histoire du vertige (Verdier)
À la Librairie Passages le mardi 21 mars
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