Betonicus totalus : une fresque en béton de 100 mètres signée Morog à la Doua

Béton forever / Enserré entre une nécropole et un boulevard de ceinture surélevé, le campus de La Doua défend fièrement ses couleurs de limbes urbaines. Qu'est-ce qui rend cet espace liminaire si spécial ? Indice : le béton.

De par leur surface, les projets de construction universitaires sont de véritables laboratoires pour expérimenter les théories des architectes. Pour Jacques Perrin-Fayolle, superstar des bâtisseurs de campus à qui l'on doit en grande partie la Doua telle qu'elle est aujourd'hui, c'est tout d'abord l'occasion d'intégrer des œuvres d'art "à même l'espace".

Son duo avec le sculpteur Morog donne ainsi naissance à 100 mètres de bas-relief sur le bâtiment Darwin au début des années 70. Une fresque de l'évolution que vous trouverez facilement, à l'arrêt de tram Université Lyon 1, et qui constitue une parfaite entrée en matière si vous voulez vous octroyer un instant d'évasion.  

Le choixpeau IRL

Bactéries, cellules, végétaux, animaux : les motifs gravés dans le béton, qui seraient inspirés de l'incroyable façade de la bibliothèque centrale de l'université de Mexico, placent cette œuvre à mi-chemin entre des influences préhistoriques et l'art héraldique (la discipline qui consiste à créer des armoiries). Vous pouvez donc parcourir la fresque en essayant de savoir à quelle maison vous appartenez : pas de Gryffondor ici mais une cosmogonie très seventies, faite de crânes qui se fondent avec des arêtes de poisson, d'un incroyable volatile avec une queue de cheval et un kimono, ou encore d'un papillon à franges.

Restez en hypnose devant les motifs le temps qu'il vous faut pour donner du sens à votre vie puis regardez l'horizon : une ligne de perspective amène le regard jusqu'à la bibliothèque universitaire, fièrement surélevée et considérée comme l'une des séquences les plus réussies de La Doua (moins colorée que son homologue mexicaine, ambiance lyonnaise oblige). On laisse la parole aux experts : « Les talus qui enserrent la bibliothèque magnifient la volumétrie euclidienne de l'équipement phare du campus ». Pas mieux.

Un cul de sac (in)volontaire

Au-delà des lignes d'horizon, quel message l'architecte a-t-il cherché à nous transmettre en agençant l'espace ? Partons de la géographie du lieu : la centaine d'hectares qui composent le campus a été une zone inondable, puis un camp militaire, et a même abrité un hippodrome. Pourtant, si cette surface presque aussi grande que le parc de la Tête d'Or semble offrir des potentialités infinies, l'espace reste confiné.

La Doua est enserrée entre la Feyssine, une nécropole, le Tonkin et un boulevard de ceinture surélevé. Un cul-de-sac, « ni hors ni dans la ville ». Situation que va renforcer l'architecte : pour éviter les distractions, favoriser la formation des esprits et permettre aux futurs ingénieurs de se concentrer, il pense le campus comme un lieu imperméable à l'activité du dehors. A-t-il déjà eu l'impression qu'il n'allait nulle part quand il faisait ses études ?

Un diamant en carrelage

Malgré tout, il s'autorise à  « ménager de loin en loin des accidents plastiques ». Parmi ses espiègleries, le diamant noir. À ne pas confondre avec le camping libertin du même nom, au lieu dit Les Pauvrettes en Dordogne (« Plein de petits coins câlins avec barbecue ou pas » selon les avis Google).  

S'il n'étincelle pas par sa joie de vivre, ce bâtiment tout en carrelage (céramique émaillée made in Pas-de-Calais) a tout de même abrité, au départ, un accélérateur de particules !

Au-delà de sa forme fascinante, jetez un œil aux alentours car les détails bétonnés ne manquent pas : des rondelles de béton en soubassement du bâtiment, des bas-reliefs qui abritent de la lumière comme des claustras, ou encore une façade dont les motifs en béton cannelé renferment certainement des secrets de physique nucléaire ou des heures d'ennui. De la perspective aux détails, de l'infiniment grand à l'infiniment petit, une balade pour perdre la notion de l'espace, ou peut-être y retrouver sa place.

Prolonger la balade en vrai ou en pensée :

  • Arpenter le campus en tentant de repérer les autres "accidents plastiques", parmi lesquels trois incroyables amphis brutalistes aux ailes de béton plus lourdes que les blagues de votre N+1 (mention spéciale à l'amphi qui a un visage perplexe).

  • Vous laisser guider au moyen de l'app Curieux Détours conçue par le Rize.
  • Parcourir le foisonnant ouvrage dédié à l'œuvre de Jacques Perrin-Fayolle pour découvrir une tonne d'autres détails (par Philippe Dufieux aux éditions PUL).
  • Faire l'inventaire de tous les motifs gravés un peu partout sur le béton des bâtiments pour faire passer une crise d'angoisse.
  • Détecter les similitudes entre la façade de l'Enssib (l'école des bibliothécaires) et la bibliothèque de la Part-Dieu (c'est fait exprès !). L'histoire raconte même qu'il reste des traces de Morog à l'intérieur.

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