Essai-poésie / Comptabilité prévisionnelle d'un "rape and revenge", abolition du privilège reproductif, utopie misandre : Alex Tamécylia invite ses lectrices à plonger dans son carnet intime, suintant délicieusement l'insurrection.
« Sais-tu combien il faut de féministes pour changer une ampoule ? Quatre. Une pour faire le job, et trois pour retenir le mec cis-het de lui expliquer comment faire. » La plaisanterie se balade au milieu d'une page. Tout en bas de celle-ci, on peut lire, écrit en petit et précédé d'une très sérieux astérisque : « ceci est une blague qui se raconte dans les milieux militants lors de veillées révolutionnaires infusant des tisanes aux larmes d'hommes ».
On a ri, à la lecture de l'ouvrage Les féministes t'encouragent à quitter ton mari, tuer tes enfants, pratiquer la sorcellerie, détruire le capitalisme et devenir trans-pédé-gouine d'Alex Tamécylia, et publié aux éditions Le nouvel Attila. Une forme d'essai et de recueil poétique, hybride et libre, tant dans la forme que dans le propos. Son titre est issu d'une tirade du télé-évangéliste américain Pat Roberson. Une citation ridicule, à laquelle l'autrice performeuse et féministe radicale Alex Tamécylia s'est pourtant très sérieusement attachée à répondre. Elle a consacré au moins un chapitre à chaque thématique évoquée dans le titre ; citant au passage ses autrices de chevet (Valérie Solanas, Monique Wittig, Virginie Despentes, Audre Lorde ou encore Wendy Delorme), égrainant les statistiques et les raisonnements théoriques avec sérieux, avant de passer, sans transition, à une parole plus intime, le plus souvent sous forme de discours poétique, maillé d'une ironie cinglante.
Colère et catharsis
« Ta vie sociale est plus active sur Doctolib que sur Ok Cupid », ou encore : « Garde les factures de tes psys, garde les ordonnances. Tu n'as pas d'attestation pour la peur des hommes [...] pas d'attestation pour les transports en commun que tu ne prends plus » peut-on lire dans les pages de l'ouvrage. Il faut s'habituer à ce carnet intime qui a « le goût du vitriol et de la lucidité » comme l'a écrit Chloé Delaume en préface. Alex Tamécylia prend à partie ses lectrices tout en élaborant une conversation avec elle-même, rappelant le travail bouleversant de l'autrice canadienne Michelle Lapierre-Dallaire (Y avait-il des limites, si oui je les ai franchies, mais c'était par amour ok aux éditions du Seuil, 2023). Alex Tamécylia brouille sans malice les frontières entre son vécu et celui de sa lectrice, suscitant ainsi le sentiment de faire catharsis ensemble.
Certains passages sont un peu moins percutants que d'autres (sur l'amitié, ou sur l'astrologie) mais l'ensemble se tient très bien, la variété des registres donne de jolies respirations au récit et invite à poursuivre sa lecture de nombreuses façons, dessinant une galaxie d'autrices à découvrir ou à redécouvrir. Salvateur par les temps qui courent, car, après tout « tu ne déconstruiras pas trois mille ans de patriarcat en trois Despentes et six margaritas ».
Les féministes t'encouragent à quitter ton mari, tuer tes enfants, pratiquer la sorcellerie, détruire le capitalisme et devenir trans-pédé-gouine (aux éditions Le nouvel Attila) ; 12 €
Rencontre organisée par le collectif Balafre le samedi 24 mai à 19h à la librairie Adrienne (Lyon 2e) ; gratuit
Atelier d'écriture mené par Alex Tamécylia de 16h à 18h ; inscription recommandée