Daniel Kawka, le contemporain qui "Ose"

Portrait / Éclectique et passionné, le célèbre chef d'orchestre aux modestes origines, moissonne aujourd'hui ses blés. Graal du sage ou désarmant truisme, ses rêves aujourd'hui reviennent à lui, tout naturellement ! Un labeur acharné et de belles cartes postales plein son viatique : Oural ou Toscane, Tibre ou Néva sont pour lui, autant de sensations à revisiter... en musique !

Toujours ponctuel, un physique imposant emplit l'entrebâillement de la porte. Les retrouvailles avec Daniel Kawka sont toujours précédées du petit pincement au cœur qui sied aux grands rendez-vous. Après les civilités d'usage, la tonalité passe très vite en ré majeur, avec une infinie simplicité. Ayant quitté deux postes de Premier Chef Invité, et pas des moindres, voici l'enfant du pays de retour dans l'Hexagone, où ses projets se concrétisent les uns après les autres. De son long séjour en Italie, à la tête de l'Orchestre de la Toscane, il a le sentiment d'avoir effectué ce qu'il nomme très justement ses « humanités », ce qui en langage " chef d'orchestre " signifie : jouer le grand répertoire du XIXe siècle : les Schumann, Mendelssohn, Beethoven... Un passage obligé pour ne pas être catalogué jusqu'à la fin de ses jours " Monsieur musique d'aujourd'hui " ! Daniel Kawka est un homme libre, et revendique ses choix musicaux sur une échelle de Richter, graduée de Wagner à Jimmy Hendrix. « À l'origine, j'ai fait ce métier parce que j'avais entendu Parsifal de Wagner à Orange. Je suis un amoureux fondamental de la musique ! » Dans une corporation, où l'on se délecte un peu trop du son de sa propre voix, son approche est pour le moins inhabituelle, mais pas totalement unique, puisqu'elle emboîte le pas à son père spirituel, un certain Pierre B., natif de Montbrison... « Boulez : un génie ! » Voilà, c'est dit ! On n'en doutait pas, Daniel.

Mère Russie et Tibre latin

Des bords de sa Néva gelée, il a gardé la mémoire sensorielle, osons le mot " sensuelle ", voire symbiotique de la musique. Premier chef invité de l'Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg - excusez du peu -, il sillonne également, à la tête d'orchestres « régionaux », la grande Russie de Krasnoïarsk (si, si) à l'Oural. Des orchestres à faire pâlir les plus grandes phalanges occidentales ! « Pour eux, la musique est existentielle, sans aucune demi-mesure. La relation est totalement fusionnelle, d'une organicité très profonde, mais surtout dans une seule et même vibration. Je m'y retrouve totalement, car c'est cette unité que l'on recherche derrière chaque note. » Pour cet infatigable globe-trotteur, Chronos semble avoir fait germer le semis dans un parfait mûrissement, aux quatre coins du globe. L'Italie, la patrie du cœur. On le croyait rentré bien sûr, mais le Requiem de Verdi qu'il dirigera cet été à la Chaise-Dieu le placera à la tête de l'Orchestre et des Chœurs Verdi de Milan. Italie-Russie, ses deux pays de prédilection et tous ces chemins qui le ramènent à Rome ! Encore. C'est d'ailleurs au cours de ces voyages, " initiatiques " pour un chef d'orchestre, qu'il pense avoir trouvé des éléments de réponse à la quête qui anime toute sa vie. La patience est une grande vertu, et dans son cas, elle paie cash. Ne récolte-t-il pas en effet aujourd'hui, les fruits d'un travail acharné, par le biais de son " bébé " devenu adulte : l'EOC ?

« Hendrix, Ravel, Wagner, même combat ! »

La valse des étiquettes

Défendant le credo que la vibration profonde ressentie est la même, que l'on écoute Hear my train a comin' de Jimmy Hendrix ou les plus grandes pages du Ring de Wagner, Daniel Kawka est convaincu qu'elle s'adresse « à l'esprit, au cœur, au corps, à l'âme. Hendrix, Ravel, Wagner, même combat !» assume-t-il pleinement, dans un sourire que ne renierait pas un fabricant de dentifrice au fluor. Refusant de se laisser enfermer dans un style, quel qu'il soit, il n'a jamais hésité à créer ce qu'il nomme, non sans malice, « les outils de ses rêves ». Longtemps estampillé " interprète de la musique d'aujourd'hui ", Daniel récolte désormais, avec l'EOC, de grandes brassées de trophées : biennale de Venise, création de l'opéra Maria Repubblica à Nantes, retransmissions radio, invitation au festival de Witten, label national pour l'orchestre l'an dernier... Il sent pourtant que les pages de son livre personnel se tournent, sous l'effet d'un zéphyr bienveillant qui semble accéder à ses requêtes. Est-ce l'ombre du grand Pierre B. qui sommeille en lui ? Rêve-t-il, comme lui, d'un empan couvrant les grands répertoires germaniques, celui du XIXe siècle-début du XXe, mais aussi la musique contemporaine ? Oui, bien sûr ! Voici donc un nouveau fiston. Nom de baptême : Ose. Après avoir reconnu la difficulté structurelle, voire l'impossibilité de construire une « fusée à deux têtes » avec son outil précédent, voici une formation numérique qui permet de jouer " du répertoire ", d'enregistrer les Concertos de Ravel (main gauche et en sol) avec Vincent Larderet, de jouer celui de Schumann avec Adam Laloum, la 6e Symphonie de Dvorák, mais aussi d'inaugurer à Genève la première académie de création symphonique.

La tapisserie de Bayreuth ?

Si pour Wagner, il a les yeux de Chimène, c'est bien sûr, vers le Saint des saints que toutes ses énergies se polarisent. La Bavière n'est qu'à un " jet " de Pierre (désolé pour le calembour), et Bayreuth n'est-il pas en Bavière ? « Je sais que c'est ambitieux, mais j'ai posé ce jalon inouï. C'est pour cela que je parcours les œuvres wagnériennes. Peut-être que Lohengrin, le fils, m'emmènera à Parsifal, le père ? D'ailleurs, on a un vrai désir avec Olivier Py de partir en tandem ». Un scoop, quoi ! Interrogé sur sa vision de Lohengrin, qu'il dirigera à l'opéra de Saint-Étienne au mois de juin, le maestro est intarissable, et la frustration est " totale " de ne pouvoir rapporter l'intégralité des échanges, concernant la mythologie très personnelle, la symbolique, sa traduction dans la musique et les lignes vocales, dans les tonalités, les climax, les carrures de chacun des personnages de Wagner et de son " théâtre total ". Quant à la transmission de l'infinie subtilité du message aux interprètes, il confie : « chaque fois, tu le remets en perspective, par petites touches, sans aller dans l'explication des caractères. Et quand tu sens que l'intelligence collective commence à être homogène, alors, là, tu peux décrire la situation dramaturgique. J'aime cette idée d'amener progressivement le collectif à se saisir de l'intérieur». Une petite pierre pour la paix dans le monde...


Repères

1959 : Naissance à Firminy
1998 : Premier enregistrement discographique
1999 : Rencontre avec Pierre Boulez et création de l'Ensemble Orchestral Contemporain (E.O.C.)
2005 : Premier concert avec l'Ensemble Inter-contemporain fondé par Pierre Boulez
2008 : Tournée en Russie. Jusqu'en 2014, Premier Chef Invité de la Philharmonie de Saint-Pétersbourg
2009 : Premier Tristan et Isolde de Wagner
2011 : Premier chef invité de l'Orchestre de la Toscane
2013 : Création de l'OSE - Direction du Ring
2017 : Lohengrin de Wagner à Saint-Étienne

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