Film de l'été / Arnaud Desplechin retourne dans son Nord natal pour saisir le quotidien d'un commissariat de police piloté par un chef intuitif et retenu. Un polar humaniste où la vérité tient de l'épiphanie, et la parole du remède. Le premier choc de la rentrée cinématographique.
L'arrivée d'un nouveau lieutenant, des incendies, une disparition de mineure, le crime d'une personne âgée... Quelques jours dans la vie et la brigade de Yacoub Daoud, patron du commissariat de Roubaix, pendant les fêtes de Noël...
« On est de son enfance comme on est de son pays », écrivait Saint-Exupéry. Mais quid du pays de son enfance ? En-dehors de tous les territoires, échappant à toute cartographie physique, il délimite un espace mental aux contours flous : une dimension géographique affective personnelle, propre à tout un chacun. Et les années passant, le poids de la nostalgie se faisant ressentir, ce pays se rappelle aux bons (et moins bons) souvenirs : il revient comme pour solder un vieux compte, avec la fascination d'un assassin de retour sur les lieux d'un crime.
Aux yeux du public hexagonal, voire international, Arnaud Desplechin incarne la quintessence d'un cinéma parisien — un malentendu né probablement de l'inscription de La Sentinelle et de Comment je me suis disputé dans des élites situées, jacobinisme oblige, en ïle-de-France. Pourtant, son premier moyen métrage La Vie des morts, revendiquait son provincialisme ; et chacune de ses autres réalisations s'appliquait à marquer soit sa distance à Paris, soit son attachement à Roubaix, sa ville de naissance. Le documentaire L'Aimée sur sa maison de famille roubaisienne, puis Un conte de Noël et Trois souvenirs de ma jeunesse totalement ou partiellement situés à Roubaix... Si une force centripète conduisait Desplechin à (re)tourner à Roubaix, c'était pour y convoquer des alter ego fantasmés — les familles Dédalus ou Vuillard. Pour Roubaix, une lumière, l'aspiration s'avère rigoureusement différente. L'inspiration également.
Vérité et voix
En travaillant sur un sujet extérieur à sa propre histoire — tiré d'un fait divers — mais ancré dans sa propre géographie, le cinéaste en vient à bouleverser ses codes narratifs. Lui qui s'octroyait film après film des libertés formelles de plus en plus poussées, se verrouille pour se conformer à la rigueur morale requise par le contexte et la misère humaine. Cette sobriété, à peine détournée par la quasi omniprésence de la partition d'un lyrisme à couper le souffle signée par l'indispensable Grégoire Hetzel, rappelle le traitement brut de Pialat pour Police ou de Tavernier dans L627 usant de la mosaïque de tranches de vie pour rendre compte le plus fidèlement d'une réalité. Car la réalité n'est pas le fait d'une histoire, mais d'un faisceau d'histoires, un agrégat d'anecdotes, auxquelles il convient d'être fidèle, et dont on se montre digne en adoptant l'éthique des documentaristes.
Dans ce panorama, il reste toutefois un personnage “vestige” du cosmos Desplechin ; celui de Louis, le jeune lieutenant porteur d'une voix off. Avec ses interrogations mystiques et sa correspondance à un homme d'église, celui que l'on suppose être un ancien séminariste est une sorte de transposé d'Ivan Dédalus, un garant spirituel d'une forme de continuité. Il n'est pas indifférent que Louis, au lieu d'embrasser les ordres, ait choisi de servir la loi : dans les deux cas, il s'attache à obtenir de ses semblables des confessions pour restaurer un peu de paix sur terre. Et dans leurs âmes. Mais Dieu que la parole est longue à accoucher !
de Arnaud Desplechin (Fr., 1h59) avec Roschdy Zem, Léa Seydoux, Sara Forestier...