Le Bonheur d'Emma
Le cinéma allemand n'en finit plus de nous surprendre. Pour sa nouvelle œuvre, et sur une trame périlleuse au possible, Sven Taddicken trouve le ton juste entre tendre comédie et mélo larmoyant. François Cau
Emma vit seule dans sa ferme avec ses cochons pour seuls compagnons, et une épée de Damoclès financière au-dessus de la tête. Max vient d'apprendre qu'il est en phase terminale, décide de braquer la caisse de la concession auto où il est employé, et s'échappe dans une belle Jaguar. Les deux vont fatalement se rencontrer, se compléter, tomber fous amoureux malgré le peu de temps qu'ils leur reste à partager. C'est le genre de trame mélodramatique qu'on a l'impression de connaître par cœur, d'autant que selon un sinistre écueil promotionnel malheureusement rentré dans la norme, la bande-annonce raconte quasiment tout le film (si vous le pouvez, épargnez-vous sa vision). Il est effectivement aisé de deviner, et ce dès les premières scènes, quelles seront l'issue et les circonstances de cette romance perdue d'avance. Mais même avec ces données, le plaisir cinématographique procuré par le premier film de Sven Taddicken demeure intact. Mise en scène lumineuse, captation de purs moments de grâce quand il filme son héroïne ; atmosphères nocturnes et ironiques pour son pendant masculin. De leur osmose naîtra un troisième film mélangeant toutes ses qualités, où l'émotion peut exploser librement.Emma y el sexoLes premières scènes du film enferment pourtant ces personnages dans une logique individualiste, a priori autodestructrice. Loin de porter un jugement, Sven Taddicken se voue au contraire à les sublimer dans chaque situation, que ce soit par des touches d'humour morbide ou par une superbe lascivité. L'empathie du spectateur atteint son zénith à la fin d'un premier acte marqué par deux scènes dont le parallélisme est tout sauf factice : un trajet "orgasmique" à mobylette pour Emma (on pense illico à la moiteur torride du Lucia y el sexo de Julio Medem, voire au Paprika de Tinto Brass), et une course-poursuite désespérée pour Max. Une fois les deux futurs amants réunis, le film ne verse pas pour autant dans un romantisme mielleux, ou encore dans un manichéisme qui les opposerait au reste du monde. Les personnages secondaires, plus altruistes que leur fonction ne devrait le laisser paraître, participent de fait à l'énergie contagieuse véhiculée par l'ensemble du film : une œuvre profondément humaniste, un regard d'une acuité confondante sur des "parias" vivant leurs passions en réclusion volontaire. Un discours nullement tempéré par une conclusion lacrymale, bouclant la boucle d'une évolution dramatique maîtrisée au cordeau. Si nous n'avons pas affaire au chef-d'œuvre de l'année, Le Bonheur d'Emma mérite très facilement le titre de meilleure surprise cinématographique de ce mois de juin.Le Bonheur d'Emmade Sven Taddicken (All, 1h34) avec Jördis Triebel, Jürgen Vogel...