La Femme des sables
Reprise au CNP d'un film culte du cinéma japonais des années 60, La Femme des sables, conte cruel du désir et de l'aliénation signé Hiroshi Teshigahara.CC
Un entomologiste part dans le désert à la recherche d'insectes rares, avec l'espoir de découvrir une espèce inconnue à laquelle il pourra donner son nom. Surpris par la nuit, il trouve refuge chez une femme énigmatique qui vit dans une baraque branlante construite à l'intérieur d'un immense trou creusé dans le sable. Au matin, il découvre qu'il ne peut plus sortir de ce piège à ciel ouvert. Pour Teshigahara, le metteur en scène de La Femme des sables, cette situation devient surtout l'occasion d'un jeu fascinant où l'espace et le temps sont soumis à des lois inconnues : ce huis clos en plein air commence d'ailleurs par une description géographique étrange, puisque ledit désert se trouve au bord de la mer, que l'on y vient en autobus et qu'on y trouve à proximité des villages dont on nous dit qu'ils se dépeuplent, mais qui resteront invisibles à l'écran. Les mêmes paradoxes gouvernent la temporalité du film : aux longues séquences en temps réel qui ouvrent le film succèdent des ellipses de plus en plus fulgurantes, au fur et à mesure où le personnage principal se résigne à sa condition de captif amoureux.Grain de folieLa Femme des sables prend rapidement des allures de conte cruel où la situation est traitée dans sa littéralité cinématographique et esthétique ; mais celle-ci doit toujours être remise dans une perspective symbolique pour en faire apparaître la pleine richesse. À l'écran, le grain du sable s'infiltre partout, menaçant d'engloutir lentement la maison si on ne passe pas la nuit à le déblayer. Geste dérisoire qui consiste à entretenir sa propre prison, à courber l'échine et à renoncer, par la répétition machinale d'un travail sans rémunération et sans but. Un grain qui se mêle aussi à celui de la pellicule, accentué par un superbe noir et blanc, puis à celui de la peau, quand les deux hôtes cèdent à l'attraction charnelle. Mais là encore, le désir est amer, car le traquenard a pour but de freiner l'exode vers les villes ; l'enfant à naître de cette union mettra en péril la vie de la femme des sables, et condamnera définitivement l'homme à ne jamais recouvrer sa liberté. Cette aliénation-là , on le comprend vite, est en filigrane celle qui menace tout un peuple, prospère mais enchaîné à ses règles sociales. La contestation de la société nipponne, de son histoire et de son identité, est au cœur du cinéma japonais des années 60, d'Imamura à Oshima. Mais La Femme des sables fait aussi penser à une synthèse entre deux films marquants de Kaneto Shindo : L'ÃŽle nue pour l'importance des éléments et de la nature comme moteur de la narration et Onibaba pour sa vision crue et violente des rapports humains. Signalons que la copie présentée aujourd'hui est celle de la version longue du film, jusqu'ici inédite en France.La Femme des sablesde Hiroshi Teshigahara (1964, Jap, 2h24) avec Kyoko Kishida, Eji Okada...