Ne touchez pas à la hache
de Jacques Rivette (Fr-It, 2h17) avec Guillaume Depardieu, Jeanne Balibar...
Au bout de deux heures du nouveau film de Jacques Rivette, arrive une séquence assez surprenante. Deux nobliaux oisifs ricanent autour d'une table pendant que le pauvre général Guillaume Depardieu, rongé par son «je t'aime, moi non plus» avec la froide duchesse Jeanne Balibar, tire violemment la tronche. Que disent-ils ? Ils moquent les critiques et leurs phrases toutes faites : «Il y a du drame...», «il y a de la poésie...», «étourdissante»... De la part d'un cinéaste aussi protégé par la critique française que Rivette, cette moquerie sonne comme un étrange aveu, la demande amusée d'une mise à mort. Car il faut l'avouer tout de suite, le cinéma de Rivette n'a plus rien d'étourdissant, et s'il y a du drame dans Ne touchez pas la hache, c'est plutôt celui du spectateur qui traverse ces 137 minutes avec un mélange d'incrédulité et de souffrance. Incrédulité : la reconstitution historique est minimale, mais traduit une fidélité presque maniaque à l'œuvre de Balzac au point d'en reproduire la désuétude scolaire plutôt que d'en chercher la pertinence contemporaine ; Rivette mixe ainsi La Belle Noiseuse et Jeanne la pucelle, en n'en gardant que le pire ! Souffrance : blocs de temps réels reliés entre eux par des ellipses marquées au fer par quelques cartons silencieux, tout ici n'est que cerveau, discours, actes de pensée plus que pensée en actes (dire que Desplechin présente Rivette comme son maître ; pourtant, tout les oppose !). Il faut revenir à cette fameuse séquence : et si, en lieu et place de son injonction de départ, Rivette nous soufflait de la prendre, cette hache, et d'aller dépecer l'institution critique qui ne manquera pas, une fois de plus, de hurler au chef-d'œuvre face à ce film si vain ? Et si, derrière le sérieux implacable, se cachait une ironie mortelle et dévastatrice qui nous souffle que l'amour, même cinéphile, est toujours un malentendu, un jeu de dupe tragique où tout le monde perd à la fin ? CC