Retour en Normandie
Après «Être et avoir», Nicolas Philibert revient sur les traces de ses débuts, le tournage de «Moi, Pierre Rivière» pour un documentaire subtil, beau et profond, véritable célébration de l'intelligence et de la modestie.Christophe Chabert
Comment, alors qu'on est un réalisateur discret et têtu de documentaires, fait-on face à un succès aussi inattendu que spectaculaire ? La question a dû tarauder Nicolas Philibert, puisqu'il lui a fallu cinq ans pour donner une suite à Être et avoir, dont le triomphe mérité lui valurent de peu glorieuses embrouilles judiciaires. D'ailleurs, Retour en Normandie n'est pas tant une suite qu'un flashback dans la carrière de Philibert. En 1975, il était (avec Gérard Mordillat) premier assistant-réalisateur sur le tournage de Moi, Pierre Rivière, ayant étranglé ma mère, ma sœur et mon frère, long-métrage de René Allio adapté des travaux de Michel Foucault sur un cas de parricide survenu dans la Normandie au début du XIXe siècle. Son job ? Faire un grand casting pour recruter dans la campagne normande les acteurs non professionnels qui allaient jouer les paysans du film. Trente ans plus tard, le cinéaste revient sur les lieux (du tournage, mais aussi du crime !) pour s'entretenir avec ces comédiens d'un jour dont (presque) tous ont retrouvé leur vie à la ferme par la suite.France profonde_Pour Philibert, le film est comme le bilan d'une carrière mais aussi, on le découvrira aux toutes dernières minutes du film, d'une vie. Car si le cinéma a traversé éphémèrement tous ces gens, il les a aussi transformés, à l'instar d'un tournage qui a probablement façonné la vocation de documentariste du cinéaste lui-même. Certains y voient une influence directe sur leurs choix futurs (Annick, qui jouait la sœur de Pierre, s'occupe de déficients mentaux) ; d'autres, le sombre présage du malheur qui allait les frapper (ce couple dont la fille sombra à l'âge de 16 ans dans la schizophrénie). Pour tous, ce retour en arrière fait revivre un instant mythique et volontiers idéalisé, grande fierté personnelle et familiale qui se colporte comme une légende (voir le passage avec la famille Borel). Mais aucune destinée n'est aussi forte que celle de Claude Hébert, l'acteur qui incarna Pierre Rivière, choisi pour ses nombreux points communs avec le personnage, et dont la trajectoire (il commença une carrière de comédien à Paris avant de se volatiliser) semble avoir été déterminée par son rôle. On n'en dira pas plus, tant Philibert orchestre son retour comme un véritable suspens. On insistera en revanche sur la beauté patiente de ce film dont tous les protagonistes brillent par leur intelligence modeste, ou leur modestie intelligente, renvoyant tous les clichés sur la France profonde (ce qui peut aussi signifier «réfléchie») à la connerie de ceux qui s'en gargarisent. Entre super-bonus DVD et film autonome d'une surprenante ampleur personnelle, Retour en Normandie confirme Nicolas Philibert comme un de nos plus grands cinéastes.Retour en Normandiede Nicolas Philibert (Fr, 1h57) documentaire