Black Book

Mercredi 6 décembre 2006

Paul Verhoeven est enfin de retour, au sortir de six années à chercher des financements et à peaufiner cette épopée traumatique dans les moindres détails. Le moins qu'on puisse dire, c'est que l'attente en valait la peine.François Cau

La genèse de Black Book remonte à la pré-production de Soldier of Orange (1977). Pour donner le plus d'efficacité possible à l'autobiographie d'un héros sanctifié de la Résistance hollandaise, Verhoeven et son scénariste Gerard Soeteman amassent une somme colossale d'informations. Engoncés par la narration linéaire (et manichéenne malgré elle) du roman original, ils mettent sous le coude quantité de pistes sur l'ambivalence de cette époque troublée, dont la Hollande garde un souvenir particulièrement douloureux. En revenant sur cette période, le but de Verhoeven n'est pas de gratter la plaie pour le seul plaisir de la douleur. S'il exorcise quelques démons insatiables au passage (enfant, il fut témoin de nombreuses exactions nazies), le cinéaste a bel et bien un dessein cinématographique en tête. Il revient à la grandiloquence épique de La Chair et le Sang, le film qui entamait sa période américaine : un style effréné, un récit d'une richesse à laquelle on n'est plus habitué, dont la référence directe ne serait autre, de l'aveu du réalisateur, que David Lean. Certes. Mais un David Lean qui boosterait sa mise en scène d'un rythme éreintant, de sursauts d'impudeur magnifique, pour peindre un portrait sans fards d'une nature humaine pétrifiée et impuissante.Autopsie du chaosAprès avoir échappé au massacre de tous ses proches, la chanteuse juive Rachel Stein incorpore la Résistance hollandaise. Elle devient Ellis de Vries et infiltre le Service de Renseignements Allemands en séduisant l'officier nazi Ludwig Müntze. Dès les premières séquences de cette incursion dans le passé (le film commence dix ans après la fin de la guerre, en Israël - choix a priori casse-gueule, qui prendra tout son sens dans un ultime plan stupéfiant), le caractère trépidant du film se met en place, pour ne plus lâcher le spectateur. Verhoeven traduit avec un réalisme sans cesse bousculé le basculement de son héroïne (et accessoirement, la transfiguration de la starlette Carice Van Houten en actrice de premier ordre). Le contexte chaotique de la Hollande occupée prend place dans toute sa trouble évidence : de scène en scène, Black Book entreprend de brouiller les pistes, de vider le personnage principal de son identité propre. Le cinéaste intègre à sa fresque épique une donnée évitant tout manichéisme : les êtres ne sont plus définis selon leur appartenance à un camp, une confession ou un sexe - mais seulement en fonction du degré du corruption qu'implique leur instinct de survie. Un cheminement dont la finalité morale pourrait paraître ambiguë, sans compter sur le limpide propos d'un réalisateur en pleine possession de ses moyens d'évocation : la violence, toute cathartique soit elle (voir les atroces séquences accompagnant la libération) est un virus contagieux, et la persécution un cancer inguérissable.Black Bookde Paul Verhoeven (Hollande, 2h25) avec Carice Van Houten, Sebastian Koch...