Avanies sur pellicule

Mercredi 26 avril 2006

Actu Ciné / Scénariste surdoué et visionnaire, le grand auteur de comics Alan Moore a dû se contenter de très médiocres transcriptions filmiques au cinéma. C'est encore le cas cette semaine, avec V pour Vendetta. Damien Grimbert

Il serait vain de tenter ici de résumer l'impressionnante carrière de cet Anglais cinquantenaire à l'improbable look de biker gothique. Doté d'une imagination démesurée, d'une érudition rare, et d'un sens de la construction scénaristique frôlant le génie, Alan Moore se fait connaître du grand public au milieu des années 80 au travers de deux romans graphiques majeurs, V pour Vendetta et The Watchmen (Les Gardiens en VF). Oppressé par une Angleterre thatchérienne allant à l'opposé de ses convictions anarchistes, le scénariste tranche radicalement avec le tout venant publié à l'époque, avec ces œuvres sombres, glauques, et sans concessions. V pour Vendetta présente ainsi la lutte d'un marginal dans un Royaume-Uni futuriste gouverné par un régime ouvertement fasciste, tandis que Watchmen s'attache au déclin d'un groupe de super-héros devenus indésirables, dans un univers parallèle où les États-Unis seraient sortis victorieux de la guerre du Vietnam. Deux récits virtuoses dans lesquels Moore apporte à l'univers des super-héros toute l'ambiguïté idéologique qui lui faisait jusqu'à présent défaut : où situer la frontière entre un justicier masqué et un terroriste extrémiste ? Après avoir ainsi purgé ses démons, l'auteur va par la suite rompre avec cette noirceur devenue étouffante pour se plonger dans une multitude de projets en tout genre. Une enquête de près de 600 pages sur Jack l'éventreur (From Hell), une œuvre expérimentale autour de la théorie du chaos et des fractales de Mandelbrot restée inachevée (Big Numbers), mais surtout une auscultation détaillée de l'imaginaire populaire contemporain, au travers des diverses séries publiées par sa maison d'édition, ABC Comics (La Ligue des gentlemen extraordinaires, Top Ten, Tom Strong, ou Promethea).Alan Moore vs HollywoodQue reste-t-il de ces divers trésors scénaristiques une fois passés au grand écran ? À vrai dire pas grand-chose. From Hell se transforme en honnête et stylisé thriller en costumes, n'entretenant que des liens très ténus avec l'œuvre originale, et La Ligue des gentlemen extraordinaires aboutit à un ennuyeux nanar aux effets numériques poussifs. Pas mieux pour Constantine avec Keanu Reeves, certes sympa et fun, mais foncièrement raté. Face à cette série noire, l'auteur réagit radicalement, en délaissant tous les droits engendrés au profit de ses collaborateurs, et en refusant toute association avec ces adaptations. Il a ainsi fait retirer son nom du générique de V pour Vendetta, et exigé des excuses publiques du producteur Joel Silver, qui s'était hâtivement targué de son approbation... Ce qui ne laisse rien augurer de bon pour la future sortie de Watchmen, en pré-production depuis maintenant un paquet d'années.