Inside Man

Mercredi 19 avril 2006

Spike Lee réalise son premier film de commande à Hollywood. Résultat : un bon petit film de casse à la façon des années 70. Luc Hernandez

Commençons par évacuer la controverse : Spike Lee, le porte-parole de la cause black du cinéma indépendant américain aurait vendu son âme au diable (hollywoodien) en acceptant un film de commande ? Il faudrait voir à arrêter l'amnésie : rappelons d'abord que Spike Lee n'est pas seulement le réalisateur-ghetto qui a su montrer la réalité des blacks dans l'Amérique d'aujourd'hui. Il a même signé son plus beau film (La 25e heure avec Edward Norton, rebaptisé depuis en DVD 24 heures avant la nuit) en faisant le portrait d'un dealer blanc vivant ses derniers moments de liberté rêvée dans le New York du lendemain du 11 septembre. Ensuite, il faudrait voir aussi à arrêter les préjugés racistes : pourquoi faudrait-il se poser avec suspicion des questions déontologiques quand un noir accepte un film de commande, alors que les réalisateurs blancs sont légions à le faire et que pour le coup, ça ne noircit pas les colonnes des journaux ? Le faux procès écarté, c'est comme d'hab' le résultat qui compte et le résultat, en l'occurrence, vaut plutôt le déplacement.Pas de quoi se braquerTous les ingrédients du bon vieux film de braquage se retrouvent dans cet "homme d'intérieur" : une grande banque comme décor principal, un commando, un hold-up, des otages, les négociations pour gagner du temps et le livreur de pizzas... À ceci près qu'il s'agit dès le départ d'un jeu de dupes : les braqueurs habillent les otages du même masque et des mêmes combinaisons qu'eux pour mieux semer la confusion. Confusion que Spike Lee va peu à peu entretenir en projetant entre deux scènes en temps réel des hypothèses du scénario à venir, comme la séquence, splendide, où les flics imaginent la fusillade qui découlera de leur plan d'intervention... Et c'est lorsqu'arrive un peu de mou et qu'on se demande bien où veut en venir le cerveau du casse (Clive Owen, sobrement énigmatique) que Lee reprend le dessus des dessous de cette intrigue cousu de fil transparent, jouant à fond la carte de l'illusioniste. Quoi que vous ayez cru, vous vous trompez, et en multipliant (un peu trop) les feintes, il sème le trouble sur les tenants et les (in)aboutissants de ce film de casse beaucoup trop classique pour ne pas être sournoisement malhonnête. On oublie alors sans souci les faiblesses d'un scénario balourd (Christopher Plummer en nazillon, Jodie Foster et Willem Dafoe sous-utilisés) pour retrouver subrepticement le spicy Spike Lee : humour macho (Denzel Washington se faisant traiter de "Monsieur Gros paquet" par Madame son épouse), sympathique ridiculisation des forces de l'ordre et fugaces allusions aux discriminations. Le tout emballé en forme d'hommage au cinéma des années 70 (Un après-midi de chien de Lumet ou Serpico, cité en clin d'œil). Ca ne change pas la face du monde, mais ça vous assure la séance, tout en nous consolant de She hate me, dernier opus désastreux du bronzé new-yorkais. Si en plus, vu le succès (carton plein aux Etats-Unis), ça peut aider à financer un futur projet personnel, tout va bien.Inside Man de Spike Lee (ÉU, 2h10) avec Denzel Washington, Clive Owen, Jodie Foster...