Nouvelle cuisine

Mercredi 8 février 2006

Que les cinéphiles adeptes de mauvais jeux de mots remballent leur attirail : cette version longue du segment de Fruit Chan pour l'anthologie 3... Extrêmes ne sent pas le réchauffé. Elle hisse l'horreur de son postulat de base à un niveau autrement plus fascinant. François Cau

Petit rappel. Il y a moins d'un an sortait le film omnibus 3... Extrêmes, deuxième essai (plutôt convainquant) visant à rassembler trois cinéastes asiatiques en leur donnant le champ libre, à un impératif près : œuvrer dans le domaine de l'horreur. À dire vrai, aux côtés des ambiances malsaines de Takashi Miike ou même de la virtuosité incroyablement vaine de Park Chan-wook, le moyen-métrage de Fruit Chan faisait pâle figure. L'idée monstrueuse de cette histoire (qu'on ne vous révèlera pas) n'y servait que de fil conducteur provoc', les ellipses (parfois aberrantes) perdaient le spectateur, et lui donnaient même la piètre impression de se faire rouler au gré des tics poseurs d'un montage grossier. On apprit avec un relatif soulagement que nous avions affaire au digest d'un film d'une durée double, et juste pour vérifier, on jeta un œil alerte au projet original. Surprise, joie, stupeur : le réalisateur du fort sympathique Made in Hong Kong nous a de nouveau gratifié d'un film à part, qui tire pleinement parti de sa trame révulsante. Fontaine de jouvenceAllez, on essaie d'en dire le moins possible : une actrice sur le retour veut reconquérir son mari (Tony Leung Ka-Fai), qui vient de céder à une bonne vieille pulsion adultérine. Elle s'offre les services culinaires de l'intrigante Mei (Bai Ling, à des années-lumière de sa sinistre composition dans Taxi 3), dont les raviolis redonneraient beauté et jeunesse à leurs consommateurs. Et miracle, ça marche ! Mais pour citer le titre d'un autre film d'horreur hong-kongais, il y a un secret dans la soupe... Une fois le mystère dévoilé, l'aura d'étrangeté se précise et l'horreur prend ses droits. À la grâce d'une mise en scène qui sait appuyer là où ça fait mal, la moindre mastication en devient intolérable. Avant cela, Fruit Chan aura pris soin d'enfermer son héroïne dans sa triste névrose, dressant en contre-jour le portrait finement vitriolé des aspirations les plus égoïstes de l'époque. L'obsession de son héroïne prend le pas sur la raison, les attitudes se détraquent suivant un axe bien défini par un auteur qu'on sent goguenard, heureux d'avoir trouvé une corde sensible lui permettant de malmener son spectateur en l'emmenant dans des contrées interlopes. Et l'on comprend à présent le caractère erratique de la version expurgée proposée dans 3... Extrêmes, tant il semble non-sensique de couper dans le corps d'un récit reposant à ce point sur l'orchestration savante de ses effets. Cette version de Nouvelle Cuisine s'impose comme un grand film peu recommandable (au risque de vendre la mèche, on le déconseillera notamment aux femmes enceintes).Nouvelle cuisinede Fruit Chan (HK, 1h31) avec Myriam Yeung, Bai Ling...