Oliver Twist

Mercredi 26 octobre 2005

L'évidente sincérité du projet et la reconstitution grandiose et poisseuse des bas-fonds de l'Angleterre élisabethaine n'y peuvent malheureusement rien : cet Oliver Twist polanskien manque cruellement d'âme.François Cau

On a aimé Roman Polanski, passionnément. Au point de chercher avec un soin maniaque les lueurs de son génie passé dans le marasme de sa Neuvième Porte, puis de s'incliner avec déférence devant la violence morale de son Pianiste. Si l'on en croit les dires du réalisateur, Oliver Twist formerait d'ailleurs un dyptique, à haute teneur autobiographique masquée, avec son adaptation de Wladyslaw Szpilman. On pourrait effectivement gloser à n'en plus finir sur les facteurs "personnels" des deux œuvres, ou comptabiliser ad nauseam les correspondances entre les deux films, lesquels empruntent les mêmes stigmates formels et décrivent deux destins brisés par les folies incontrôlées de leurs époques respectives. Ceci étant posé, on nuancera violemment l'impact émotionnel des dernières mésaventures cinématographiques de l'orphelin imaginé par Charles Dickens. Démarrant par une succession de saynètes dotées d'une touche légèrement surréaliste, Oliver Twist vire, lors de la longue partie londonienne du récit, dans des penchants oscillant plutôt du côté d'un naturalisme urbain. Son gamin enguenillé arpente des rues à la saleté grouillante, les façades suintent la misère ambiante ; l'atmosphère est là mais la substance s'est enfuie à toutes jambes.Un couteau dans l'eauPrincipal bémol : en dépit d'une durée plus que respectable, enfermant par ailleurs le spectateur dans une relative torpeur, le récit semble avoir été taillé à la serpe, nous offrant une narration lapidaire dont la première victime n'est autre que notre infortuné héros. Campé avec une candeur envahissante par le jeune Barney Clarke, Oliver Twist transcende ici son statut de personnage semi-passif. Prenant littéralement le bouquin original comme une béquille inconsciente, Polanski fait de son orphelin une simple marionnette, le vouant à subir sans fin les aléas émaillant son parcours. Si l'idée est en soi plus que défendable (et fait écho au livre de Dickens comme à celui de Szpilman), dramatiquement, ça devient très vite insupportable. Signe qui ne trompe pas, le réalisateur, dès que le récit s'ancre dans les faubourgs de Londres (reconstitués de façon assez convaincante), oublie parfois son jeune héros pendant des bobines entières, au profit de la faune interlope l'entourant. D'autres vagabonds infantiles (bénéficiant tous d'un charisme autrement plus affirmé que le rôle-titre), une ado au grand cœur, un troublant sosie de Terry Gilliam relativement menaçant, ou enfin un Ben Kingsley grimé à outrance, devenant peu à peu le véritable héros du film par abandon. Si son (nécessaire ?) cabotinage le dessert plus qu'autre chose, l'acteur reste celui qui tire le mieux son épingle du jeu. C'est d'autant plus énervant qu'Oliver Twist est de ces films qu'on aurait sincèrement voulu défendre.Oliver Twistde Roman Polanski (Fr-Ang-It-Tchéquie, 2h05) avec Barney Clarke, Ben Kingsley...