Broken Flowers
Le nouveau film de Jim Jarmusch transforme Bill Murray en icône romantique égarée, dans un opus qui, non content d'illuminer radieusement cette rentrée ciné, s'avère moins anecdotique qu'il ne voudrait le laisser croire. François Cau
Si Coffee and Cigarettes nous avait fait revivre l'évolution de l'œuvre de Jim Jarmusch à vitesse grand V, rappelons que son dernier long métrage (Ghost Dog, pour les distraits) date tout de même d'il y a six ans. C'est donc avec un plaisir gigantesque, voire inespéré pour les fans fervents que nous sommes, que l'on retrouve son univers filmique ouaté, ses pauses faussement contemplatives, sa maîtrise formelle éclatante. D'autant que le postulat de départ s'avère irrésistible : Don Juan n'est pas mort. Il a la cinquantaine bien tassée, s'appelle Don Johnston, a fait fortune dans l'informatique et arbore un superbe jogging à rayures. Le jour où sa dernière conquête le quitte, une lettre anonyme lui apprend l'existence d'un fils parti à sa recherche. Sur les conseils de son voisin féru de polars, Don s'engage dans un périple à travers les Etats-Unis pour interroger ses anciennes partenaires. Son parcours, rythmé par d'envoûtantes sonorités éthiopiennes, sera bien évidemment émaillé de ces rencontres improbables que le réalisateur affectionne tant. Son séducteur suranné, rendu atone par le morne train de vie qu'il s'est choisi, découvre peu à peu, par une somme imposante de non-dits, les vies que lui a évitées sa peur de l'engagement. Mes petites amoureusesDétail vite oublié, tant le film s'écarte en apparence de sa prestigieuse tutelle : une dédicace introductive place le film sous l'égide de Jean Eustache. On s'en doute, le tribut ne sera pas vraiment esthétique, mais nous poussera plutôt à voir le personnage de Bill Murray comme un prolongement amorphe et vieillissant du Jean-Pierre Léaud de La Maman et la Putain. Comme Alexandre, Don aime les femmes sans les comprendre, à défaut de pouvoir instaurer une communication avec elles. Lorsqu'il entreprend enfin une démarche en ce sens, il saisira in extremis... qu'il est peut-être déjà trop tard. Aussi loufoque et jubilatoire que puisse être cette succession de rencontres (d'une Sharon Stone dont on avait oublié la beauté à la courte apparition d'une Tilda Swinton probablement encore traumatisée par sa performance précédente dans Constantine), leurs conclusions ne font qu'accroître l'amertume affichée du héros. Et la saine impatience du spectateur, qui attend benoîtement la résolution du "mystère". Ledit spectateur pourra se sentir floué par une conclusion abrupte, pourtant en pleine cohérence avec ce qui précède, mais on lui opposera l'argument que Don Johnston ressasse à son comparse : cette histoire n'est pas un polar... La performance incroyable de Bill Murray, accentuée par son apathique regard final, impose en tout cas une nouvelle fois le comédien comme "l'Antoine Doinel sur le retour" de la frange la plus stimulante du cinéma indépendant américain. Broken Flowers de Jim Jarmusch (EU, 1h46) avec Bill Murray, Jeffrey Wright...