Des mondes en guerre
Ouvert avec un chef-d'œuvre (La guerre des mondes), l'été cinématographique n'a ensuite guère tenu ses promesses, même s'il a su garder un horizon : une inquiétude profonde sur le devenir du monde.Christophe Chabert
On y a cru avant de déchanter. Alors que juillet alignait de prestigieuses signatures et qu'août pouvait laisser espérer de bonnes surprises, le miracle n'a finalement pas été au rendez-vous ; l'été 2005 ne restera pas dans les annales cinématographiques. L'année dernière avait été plus profitable, avec Spider-man 2, Head on et Le Village en haut du panier. De guerre lasse, plus personne ne se laissait tenter par l'île d'une Bay américaine qu'on avait cru, un instant, habitée. Il faut dire aussi, pour gueuler un bon coup, que se retrouver à voir Land of the Dead ou son jumeau turbulent Shaun of the dead dans une VF obligatoire finissait par nous donner de furieuses envies de piraterie domestique (qu'on vire cette propagande stupide et anxiogène et qu'on sorte les films en VO à la place !)...Burton dans l'âge adulteLe plus bizarre cependant, c'est qu'à part quelques gaudrioles visant clairement la part la plus apathique du cerveau humain, le divertissement se doublait toujours d'une part lugubre, noire et dépressive. Le grand écart le plus brillant, c'est celui réalisé par Tim Burton avec Charlie et la chocolaterie. Adaptant le classique littéraire de Roald Dahl, Burton y glisse un triple fond dans lequel on se perd avec plaisir avant d'en sortir profondément mélancolique. Le programme du film pour enfants est suivi avec application mais Burton ne se prive pas pour donner de bonnes fessées aux kids à qui l'œuvre semble superficiellement s'adresser. Si le tour de magie opère avec tant de grâce, c'est que le cinéma de Burton semble depuis deux films être entré dans son âge adulte. Loin des délires graphiques de ses premières œuvres, sa mise en scène repose aujourd'hui davantage sur l'utilisation dynamique du montage et des points de vue. Dans Charlie..., Burton se moque ainsi ouvertement de l'esthétique MTV qu'il a pourtant largement contribuée à alimenter, lui préférant le cinéma du cerveau d'un Kubrick (référence à la fois implicite et explicite du film). En somme, Burton se cherche de nouveaux pères dans ces films où il n'est question que de transmission complexe et douloureuse.(Presque) radieuse EuropeÀ l'opposé de cette fable morale, la tonalité générale de l'été était plutôt au conte politique, lugubre et cauchemardesque quand il venait d'Amérique, solaire et optimiste dans nos contrées européennes. À l'intersection des deux courants, l'étrange Été où j'ai grandi de Gabriele Salvatores, production Miramax made in Italy, proposait un retour aux années 70 pour raconter la perte d'innocence d'un jeune garçon confronté à un fait-divers macabre. Instants de plénitude dans une nature un poil trop édénique et moments de terreur froide dans les entrailles de la terre : le contraste fonctionne, mais c'est quand le film s'attarde sur les adultes criminels, Italiens moyens réduits à la passivité face à une télé qui peine à relater leurs "exploits", qu'il s'avère le plus intrigant. Le point de vue rejoint alors celui de Bellocchio dans Buongiorno Notte, moins le vécu et l'ironie. En France, c'est à l'implosion d'un microcosme bourgeois sous la pression d'une subite poussée de désir que l'on assiste dans Peindre ou faire l'amour. Ni chef-d'œuvre, ni nanar, contrairement à ce qui s'est dit depuis Cannes, le film des frères Larrieu est inégal mais recèle de belles idées. Notamment celle-ci : alors que le couple vieillissant (Auteuil/Azéma) se lance à corps perdu dans une passion physique avec son double tentateur (Amira Casar et un vraiment génial Sergi Lopez), leur progéniture se marie dans une pâle et conformiste cérémonie. Conflit de générations à l'envers sur lequel ne plane pourtant aucun parfum de scandale, puisque les Larrieu le pose dans une ambiance de sérénité radieuse qui rappelle Ozu ou Bergman, références un rien écrasantes pour ce judicieux petit film.L'Amérique à feu et à sangLe conflit, le vrai, était à chercher dans un cinéma américain qui s'enfonce mois après mois dans le pessimisme. Mais qu'on ne s'y trompe pas : tout le monde n'a pas eu la même pertinence face à ce retour au politique. Ainsi de George Romero, dont le Land of the dead a déçu (euphémisme). Le discours du film s'avérait finalement très attendu (les méchants puissants contre les exclus exploités, avec un héros middle-class sans charisme entre les deux), peu aidé par une mise en scène standardisée, propre et sans surprise ; à se demander si le film n'a pas été tourné par ses assistants... Plus grave, Land of the dead ne se prive pas pour emprunter des pans entiers de l'œuvre de John Carpenter, dépassant largement les limites de l'hommage. On préfère revoir Le Jour des morts-vivants, film au-delà du fauché mais ô combien plus dérangeant. Pour être perturbé, il fallait s'immerger tout entier dans l'exceptionnelle Guerre des mondes signée Spielberg. À l'inverse de Romero, le génie du film est de refuser toute représentation du pouvoir, plongeant la population dans une déroute qui abolit instantanément l'idée même de classe sociale (le début du film reproduit ainsi la panique consécutive à la chute des tours le 11 septembre). La foule en exil n'a plus ni patrie, ni valeurs et l'acte de courage le plus fort accompli dans le film est de buter un simple citoyen qui, par son désespoir résigné, risque de provoquer la mort de toute une famille. Avec une dextérité qu'on ne lui connaissait plus guère et un souffle glacial qui résonne bien après la fin de la projection, Spielberg signe enfin ce grand film qui fait le trait d'union entre ses œuvres "sérieuses" et sa veine "entertainment", une merveille cent coudées au-dessus de cette peu glorieuse moisson estivale.