Les Poupées russes
de Cédric Klapisch (Fr-Ang, 2h10) avec Romain Duris, Audrey Tautou, Cécile de France...
Après l'éveil érectile de L'Auberge espagnole, voici venu pour Xavier, devenu presque trentenaire, le temps de l'égoïsme amoureux. Exit le rêve communautaire : pour ces soi-disant retrouvailles 5 ans après, on ne retrouvera presque pas le groupe de Barcelone, à peine cinq d'entre eux le temps d'un mariage à Saint-Pétersbourg. Les Poupées russes marque le temps de la confusion des sentiments, ou plutôt de l'individualisme benêt : on va devoir suivre pendant deux heures et quart Xavier et ses grandes ambitions adultes, c'est-à -dire ne rien foutre et se taper des filles. Ce que résume Klapisch en voix-off avec toute la générosité qu'on lui connaît par ces mots dédiés à son personnage principal préféré : "Je suis moi. Avec ma gueule de moi. Connement moi." La connerie revendiquée n'a jamais rendu quiconque plus intéressant, et on va malheureusement pouvoir le vérifier.Chacun cherche sa chatteOn voit bien ce qui meut Cédric Klapisch depuis déjà pas mal d'années : faire ce qu'il appelle le "portrait d'une époque et de la perte des repères", de ce "monde où il est difficile de choisir parce qu'il y a beaucoup de choix". Le problème, c'est qu'à vouloir refléter cette sempiternelle "période zapping" et la confusion ambiante, le cinéma de Klapisch finit par n'être plus qu'une grosse caisse enregistreuse bourrée de gimmicks (images accélérées, images décomposées, cadre dans le cadre et publicité déguisée à tous les étages), incapable de la moindre conviction (Ni pour, ni contre, bien au contraire disait son précédent film) confondant la perte des repères avec la lâcheté et le cynisme généralisés. Pas un personnage dont Klapisch ne se moque, pas un sujet qui ne soit l'objet de sa dérision. Pas un personnage à qui Xavier ne mente ou pire si affinités (son grand-père pour qui il s'invente niaisement une fiancée, son ex, ses employeurs, la vendeuse sénégalaise, Wendy, la top model...), sans le moindre examen de conscience ou le plus petit début de politesse. Et quand il écrit de la daube pour une sitcom improbable, bien sûr, ce n'est pas de sa faute, c'est qu'il est "victime de la mondialisation". Le comble, c'est que dans cet imprécis d'égoïsme mesquin, Klapisch pense parler d'amour. Mais il a bien trop de mépris envers toute forme d'engagement pour cela : à peine a-t-il esquissé une belle aventure entre William et une danseuse russe qu'il se moque de leur mariage comme de la suite de leur histoire. Le seul personnage positif, il faudra aller le chercher en la belle personne de Kelly Reilly : Wendy, elle, écrit et y croit, est amoureuse et capable d'aimer. Son départ de la gare sur fond de Beth Gibbons (le sublimissime Mysteries de son album solo) constitue, grâce à la chanson, le seul début d'émotion du film. Sans rien cacher des difficultés d'aimer, Beth Gibbons a quelque chose à nous dire de l'amour, là où Klapisch, sous prétexte de confusion, n'a depuis longtemps plus grand-chose à filmer.Luc Hernandez