L'Interprète
Le cinéaste d'Out fo Africa et Tootsie renoue avec le thriller politique. De beaux moments de bravoure malgré un scénario qui plombe singulièrement le panache du grand monsieur.Luc Hernandez
"On agit toujours dans le bon sens pour de mauvaises raisons et vice-versa." Voilà ce que déclarait Sidney Pollack au moment des Trois jours du Condor, suspense porté par le Robert Redford de la grande époque. L'ambivalence est reine dans le cinéma de Pollack, le grand cinéaste américain se plaisant à dessiner les masques confondus de la vérité et du mensonge, des illusions et de l'engagement, de l'amour et de l'amitié. C'est sans doute pour retrouver ce yoyo excessivement cinématographique entre le vrai et le faux qu'il a été séduit par le sujet que lui ont proposé les producteurs anglais de Working Title (le studio à qui l'on doit tous les succès de la comédie sentimentale programmée, depuis Notting Hill jusqu'à Bridget Jones en passant par Love actually). Avec L'Interprète, Pollack renoue avec le thriller politique sur fond d'intrigue hitchcockienne : ici un complot politique qui rejaillit dans la salle de l'ONU au cœur de New York, au travers d'un président africain qui doit être la victime d'un assassinat programmé. Comme il se doit dans un bon Hitchcock, il y a celle qui en savait trop (Nicole Kidman, qui est la seule à avoir tout entendu) et celui qui lui court après (Sean Penn en flic blasé), menant l'enquête sur son passé avant de devenir son protecteur au grand cœur. Et comme souvent chez Pollack, l'intrigue du thriller ne tardera pas à se croiser avec la trame sentimentale. En grand stylise un rien pépère, le cinéaste alterne alors scènes de chambre ou de bureau (beaucoup), et scènes d'action (un peu), mais tire parfois un peu trop la langue pour nous tenir en haleine : le passé africain de Nicole Kidman comme son talent pour la flûte nous laissent un peu perplexes, et les casseroles sentimentales de Sean Penn (sa femme danseuse l'a trompé avec un danseur avant de faire une dernière envolée en voiture dans le poteau !), sont aussi inutiles qu'invraisemblables.New York, New YorkC'est d'autant plus dommage qu'il y avait là tout pour réussir un suspense politique palpitant : les séquences tournées dans la véritable salle de l'ONU sont d'une beauté à couper le souffle, sorte de pendant coloré au noir et blanc du Docteur Folamour de Kubrick, et Pollack n'a pas son pareil pour faire vivre en quelques plans un lieu, un métier ou une ville. À défaut de celle des personnages, toute l'âme de New York ressuscitée transpire ici : les rues, les bureaux, les appartements ou les buildings construisent un véritable paysage politique en même temps que le décor idéal pour les poursuites et les accès paranoïaques. Le message à l'arrivée (la parole vaut mieux que les armes, la diplomatie que la guerre) parait bien convenu et pour l'action, il faudra se contenter de deux scènes, mais pas des moindres : une menace de bombe dans l'autobus et une tentative de meurtre en appartement, vue des persiennes d'en face, qui rappelle les grandes heures du cinéma américain façon De Palma. On se souvient alors que Pollack est un formidable maître de l'atmosphère et des apparences qui ne trouve plus depuis déjà trop longtemps de scénario à la hauteur de son talent.L'Interprètede Sydney Pollack (Eu, 2h) avec Nicole Kidman, Sean Penn, Yvan Attal...