Le Crime farpait

Mercredi 18 mai 2005

Maîtrisant plus que jamais son art de la transgression, Alex de la Iglesia s'acquitte avec talent d'une satire hilarante sur la fièvre consumériste, avec un acteur parfait : Guillermo Toledo.Christophe Chabert

Dans l'internationale des cinéastes iconoclastes, Alex de la Iglesia occupe désormais une place de choix. Si on oublie ce petit faux-pas qu'était Mes chers voisins, le madrilène déjanté raffine film après film son univers, la soude caustique s'infiltrant en profondeur dans les interstices d'un monde à la propreté immaculée. Tout est dit dans les premiers plans du Crime Farpait : décor blanc en plan large, une penderie et deux types. Dans cet environnement à la THX 1138, ils jouent la pitoyable comédie du vendeur et du client, rapidement interrompue par un "metteur en scène" qui s'avère être un gourou de la vente. Gourou qui eût un élève-modèle : Rafael Gonzalez, dont la devise est "Si tu veux quelque chose, prends-la". Meuf, bagnole, sape : Rafael est un prince de la possession, qui règne sur son territoire (le rayon mode femme chez Yeya's, les Galeries Lafayette madrilènes) comme un cow-boy sur son bétail. Seul obstacle : son homologue du rayon homme, "vieux pédé" qui convoite comme lui la place de directeur.Appétit de destructionBrillante introduction que celle du Crime farpait, racontée face caméra par Gonzalez, double maléfique du cinéaste. Lui vit dans le beau, la facilité et le mépris des autres ; De la Iglesia va prendre plaisir à le salir. Meurtre, disparition du cadavre, chantage : Gonzalez va tout perdre en voulant trop avoir. Conte moral ? Oui, mais autrement plus tordu et bidonnant que chez Rohmer... Car tout comme il organisait un gunfight religieux en pleine Gran'Via à Noël dans Le Jour de la bête, De la Iglesia ne peut exercer son appétit de destruction que s'il est fasciné par le monde qu'il malmène. La grande surface du film porte bien son nom : un espace immense, plein de lignes à ne pas franchir et d'intestins crados, dans lequel la caméra glisse avec délectation avant de le faire partir en fumée. Plus c'est propre, plus ça doit être crade : voilà le credo du cinéaste espagnol. Le châtiment de Gonzalez sera de mener une vie normale avec une famille accablante de normalité. C'est le côté Fight Club-South Park du Crime farpait : délicieusement subversif, le film prend un plaisir contagieux à saccager les valeurs établies, jusqu'à cette petite fille de 8 ans qui s'imagine en cloque de son prof de gym ou qui menace ses parents avec une seringue en se disant séropositive. Cette cruauté hardcore, jamais De la Iglesia ne l'avait exposée avec autant de brio : la mise en scène repose sur un timing spectaculaire, les références (de Star Wars à Polanski en passant par Buñuel) ne sont jamais ostentatoires... Et surtout, il a dégotté un acteur de grande classe : Guillermo Toledo, cousin ibère de Michael Youn et Alexandre Astier, rend Gonzalez joyeusement odieux, attachant dans sa dégueulasserie ordinaire. Mine de rien, Le Crime farpait en dit plus sur les ravages du consumérisme que 208 discours d'Olivier Besancenot.Le Crime farpaitd'Alex de la Iglesia (Esp, 1h44) avec Guillermo Toledo, Mónica Cervera...